Si les pédagogues critiques abordent la question du rôle de l’enseignant dans le processus d’émancipation, ils mettent en avant également l’importance de conscientiser les apprenants sur ce qu’implique d’être un apprenant critique.
La dynamique de classe repose à la fois sur l’enseignant et les apprenants.
Dans le chapitre 20 de Teaching Critical Thinking, bell hooks souligne qu’elle rappelle toujours aux étudiants qui se plaignent que le cours est ennuyeux, que la dynamique de la classe est de la responsabilité des enseignants et des étudiants. De fait la première étape d’un cours de pédagogie critique est que les apprenants soient prêts à prendre la parole.
L’enseignant peut leur offrir de prendre la parole et accepter le défi d’un dialogue critique, mais il appartient aux apprenants en face de relever le défi. Il faut oser l’insoumission.
Il arrive que parfois certains apprenants se disent qu’ils seraient plus rassurés face à un enseignant qui s’efface, qui n’ait pas un fort niveau de compétence intellectuel, surtout lorsque c’est une enseignante femme. Le problème, c’est que l’insoumission ne se concède pas elle se prend. L’enseignant-e ne peut pas sacrifier la qualité intellectuelle des contenus d’apprentissage pour donner l’illusion d’une fausse liberté facile à conquérir.
Comme l’explique Paulo Freire, l’enseignant a le devoir de simplifier, mais pas d’être simplificateur: “Mais pour autant, les enseignants ne doivent pas faire de concessions faciles. Leur tâche n’est pas de simplifier parce que simplifier, c’est irrespectueux pour les apprenants. Le professeur simplificateur considère que les apprenants ne seront jamais à la hauteur pour le comprendre et par conséquent, il réduit la vérité à une moitié de vérité, c’est-à-dire à une fausse vérité.” (Paulo Freire, “Pratique de la pédagogie critique”)
L’enseignant-e ne peut qu’offrir la possibilité, encourager la prise de parole et proposer des conditions favorables pour oser prendre le risque de l’insoumission intellectuelle, mais il ne peut le faire à la place des étudiant-e-s.
Pédagogie bancaire et insoumission
Dans la pédagogie bancaire, c’est la possibilité et l’acceptation d’un dialogue critique qui n’est pas offert par l’enseignant: parce qu’il a peur de ne pas savoir répondre, parce qu’il craint de voir son autorité intellectuelle remise en question, parce qu’il craint de ne pas boucler le programme ou encore de ne plus réussir à gérer la classe. Il/elle ignore les questions des apprenants, les abrègent, fait sentir qu’elles sont hors de propos et font perdre du temps…
Néanmoins, même dans le cadre d’une pédagogie bancaire, comme le précise Freire, l’apprenant doit tenter de maintenir les qualités qui sont celles d’une conscience critique: rébellion intellectuelle, curiosité, audace intellectuelle...
“Il importe que, malgré sa subordination à la pratique « bancaire », l’apprenant maintienne vif en lui le goût de la rébellion qui, en aiguisant sa curiosité et en stimulant sa capacité de se risquer, de s’aventurer, l’immunise d’une certaine manière contre le pouvoir du « bancarisme » qui rend passif. Dans ce cas, c’est la force créatrice de l’apprendre, dont font partie la comparaison, la répétition, la constatation, le doute rebelle, la curiosité non facilement satisfaite, qui surpasse les effets négatifs du faux enseignement. Celle-ci est un des avantages significatifs des êtres humains – celui de s’être rendus capables d’aller au-delà de ce qui les conditionne. Cela ne signifie pas pour autant qu’il nous soit indifférent d’être un éducateur « bancaire » ou un éducateur « problématiseur ».” (Pédagogie de l’autonomie)
Cette esprit d’insoumission que doit cultiver la pédagogie critique, et que doit s’efforcer de maintenir l’apprenant en toute circonstance, c’est la liberté intellectuelle et le refus de soumission à l’autorité dogmatique.
Conclusion:
La pédagogie critique exige du côté de l'apprenant un courage que l'enseignant ne peut avoir à sa place à savoir celui "d'oser faire entendre une voix différente", d'oser faire entendre sa propre voix.
Mais de son côté, l'enseignant doit aussi avoir le courage d'être un pédagogue critique qui assume la politisation de l'éducation, à savoir qui considère que la pédagogie implique une discussion critique autour des enjeux sociaux des savoirs abordés en classe.