L’enseignement comprend une dimension déductive qui le différencie dans le processus d’émancipation des luttes sociales.
Théorie et pratique dans les luttes sociales
Les luttes sociales peuvent apparaître sans qu’il y ait une théorie fixe qui les orientent. Les luttes sociales reposent sur un processus pragmatique : les militants y testent des hypothèses d’action qui permettent la transformation sociale.
L’espace militant constitue un lieu d’élaboration de savoirs collectifs qui partent de l’expérience vécues des actrices. C’est le cas par exemple des groupe de parole et de conscience féministes qui permettaient aux femmes de prendre conscience que leur expérience n’était pas individuelle, mais collective.
L’éducation populaire s’est souvent appuyé sur ce modèle d’un processus d’apprentissage mutuel et égalitaire visant à s’approprier et élaborer un savoir collectif.
Des luttes sociales à la théorisation dans le champs scientifique
Le passage des luttes sociales au monde académique passe par une modification des exigences de rigueur intellectuelle.
On peut prendre l’exemple d’un processus visant à établir sous la forme d’un ensemble de résultats statistiques des hypothèses d’analyse énoncés par des militantes.
Il est ainsi possible de déterminer sous forme statistique que l’expérience des femmes d’avoir en charge le travail domestique et le soin des enfants est bien une réalité statistiquement majoritaire et pas une simple impression.
Du champs scientifique à la didactisation pédagogique
La pédagogie critique se distingue de l’éducation populaire par le fait qu’elle ne se limite pas à un travail de conscientisation d’une expérience vécu mutuelle.
Elle se donne pour objectif de faire en sorte que des militants s’approprient un savoir critique académique en vue de développer leur niveau de conscience.
Il y a là un sous-entendu. On peut bien évidement lutter sans ce travail de conscientisation, mais la pédagogie critique présuppose que ce travail de conscientisation peut favoriser l’engagement dans les luttes sociales et que les savoirs scientifiques critiques peuvent également fournir des armes intellectuelles pour lutter.
La difficulté c’est que ces connaissances scientifiques sont difficilement accessibles à tous et que le rôle de l’enseignant est ici de permettre que toutes et tous puissent s’en emparer. L’enjeu est donc celui de la didactisation de ces savoirs théoriques.
Paulo Freire souligne à ce sujet l’importance de la clarté cognitif (« être simple sans être simplificateur ») et des métaphores (qui permettent de rendre les connaissances abstraites plus concrètes).
Le dialogue dans ce cas permet par l’échange de vérifier en particulier la compréhension et de lever des malentendus dans la réception de ces savoirs scientifiques.
Il y a bien une co-construction de savoir dans ce cas qui passe sur la question de l’opérationnalisation dans la pratique militante de ces savoirs scientifiques.
Conclusion :
Il est nécessaire sans doute d’éviter la confusion entre deux types différents d’apprentissage et de co-construction de savoirs.
Il y a un premier type de processus qui est la co-construction mutuelle de savoirs qui vise une montée en généralité d’expérience vécues. Elle peut avoir pour objectif l’élaboration de revendications. Ce processus est donc plutôt inductif.
Il y a un second type de processus de co-construction de savoirs. Il s’agit d’un processus qui vise à co-construire des savoirs pour les opérationnaliser dans la pratique. Ce processus comprend des aspects déductifs dans l’appropriation des savoirs académiques qui ne sont pas co-construits. Mais la co-construction intervient dans l’opérationnalisation de ces savoirs dans la pratique : car cela demande à la fois des connaissances théoriques et des savoirs pratiques.