Qu’est-ce que la colonialité ?

 

 

La notion de décolonial est de plus en plus évoquée dans les milieux militants, sans que l’on sache, le plus souvent, que cela réfère à un groupe d’intellectuels latino-américains, dont le concept central de la notion de “colonialité”.

 

Quijano: La colonialité du pouvoir

 

Les auteurs de l’option décoloniale ont élaboré leurs théories au sein d’un groupe à partir de 1998 appelé Modernité/Colonialité.

 

Parmi les auteurs qui ont participé à ce groupe figure le sociologue péruvien Anibal Quijano. Il met en lumière la manière dont le capitalisme a eu besoin de la racialisation du travail pour fonctionner. Sa théorie met en lumière une imbrication entre le racisme et le capitalisme.

 

(Voir à ce sujet l’article traduit en français: Quijano Aníbal, « « Race » et colonialité du pouvoir », Mouvements, 2007/3 (n° 51), p. 111-118. DOI : 10.3917/mouv.051.0111. URL : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-3-page-111.htm)

 

La colonialité du pouvoir désigne un régime de pouvoir qui émerge à l’époque moderne avec la colonisation et l’avènement du capitalisme. Mais qui ne s’achève pas avec le processus de décolonisation dans les années 50-60, mais continue d’organiser les rapports sociaux de pouvoirs actuels dans le système monde.

 

L’originalité de la structuration du concept de colonialité c’est qu’il a été amené à connaître une extension plus large donnant lieu à un important programme de recherche sur les rapports sociaux de pouvoir à l’époque moderne.

 

La colonialité du savoir

 

En 2000, le vénézuélien Edgardo Lander coordonne un ouvrage sur la colonialité du savoir. De fait, la colonialité n’est pas qu’une structure matérielle comprenant des rapports sociaux de travail, mais désigne également une épistémé spécifique.

 

(Lander (dir), La colonialidad del saber - http://bibliotecavirtual.clacso.org.ar/clacso/sur-sur/20100708034410/lander.pdf )

 

Les auteurs latino-américains mettent en lumière l’émergence d’une épistémé eurocentrique qui délégitime toutes les autres formes de savoir que celles qui ont été produite par la science moderne occidentale.

 

En effectuant une critique de l’épistémé eurocentrique, ces penseurs latino-américains veulent ouvrir la voie à un dépassement de l’épistémé moderne occidentale et de la colonialité du pouvoir.

 

C’est ce que l’argentin Enrique Dussel appelle la transmodernité. Celle-ci est sensée dépasser l’opposition entre l’universel de la modernité et le relativisme de la postmodernité. Il s’agit de penser possible une alternative locale au capitalisme, tout en ne renonçant pas à un idéal d’émancipation universel

 

(Voir:

Hurtado López Fátima, « Universalisme ou pluriversalisme ? Les apports de la philosophie latino-américaine », Tumultes, 2017/1 (n° 48), p. 39-50. DOI : 10.3917/tumu.048.0039.

URL : https://www.cairn.info/revue-tumultes-2017-1-page-39.htm )

 

Pour les décoloniaux, les néo-zapatistes au Chiapas constituent un exemple intéressant de mise en oeuvre d’un pluriversalisme

 

(Grosfoguel Ramón, « 8. Vers une décolonisation des « uni-versalismes » occidentaux : le « pluri-versalisme décolonial », d'Aimé Césaire aux zapatistes », dans Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française. Paris, La Découverte, « Cahiers libres », 2010, p. 119-138. URL : https://www.cairn.info/ruptures-postcoloniales--9782707156891-page-119.htm )

 

Avec les notions de “buen vivir” et les “droits de la terre mère”, issus de cosmogonies indigènes, il s’agit d’essayer de proposer des réflexions alternatives à la domination de la rationalité instrumentale sur la nature.

 

Avec la notion de colonialité de l’être, développée par Maldonado-Torres, l’option décolonial s’engage également dans une réflexion ontologique sur l’être.

 

La colonialité du genre

 

Développée par la philosophe argentine, Maria Lugones, la colonialité du genre constitue la contribution à la pensée féministe de l’option décoloniale.

 

Maria Lugones montre que le genre et le sexe sont des constructions socio-historiques qui se mettent en oeuvre dans les Amériques avec la colonisation. Le genre caractérise davantage une problématique des femmes blanches bourgeoises enfermées dans des rôles sociaux de genre stéréotypés.

 

En revanche, les personnes racisées n’ont pas réellement accès au statut d’être humain. Elles se trouvent animalisées dans la conception coloniale raciste hiérarchisant les êtres humains. Elle n’ont donc pas accès à un genre, mais elles ont seulement un sexe. C’est donc le dysmorphisme sexuel entre mâle et femelle qui s’applique à elles dans la conception raciales coloniale.

 

Avoir un genre est donc un luxe d’hommes et de femmes blanches bourgeoises.

 

PAMELA, Abellón. María Lugones, una filósofa de frontera que ve el vacío: Entrevista a María Lugones. Mora (B. Aires) [online]. 2014, vol.20, n.2 [citado 2018-04-13], pp. 00-00 . Disponible en: <http://www.scielo.org.ar/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S1853-001X2014000200007&lng=es&nrm=iso>. ISSN 1853-001X.

 

La colonialité de l’Etat

 

La colonialité du pouvoir se caractérise également par l’extension de l’Etat moderne à l’ensemble du monde. Sur ce plan, la réflexion de l’option décoloniale rejoint celle de l’anthropologue Scott au sujet de Zomia

 

(Scott J., Zomia - http://www.laviedesidees.fr/Zomia-la-ou-l-Etat-n-est-pas.html )

 

(Ajay Parasram, Postcolonial Territory and the Coloniality of the State, 2014 - https://journals.sta.uwi.edu/ojs/index.php/iir/article/view/510 )

 

La chercheuse mexicaine Breny Mendoza a pour sa part développé la question de la colonialité de la démocratie.

 

Conclusion: La notion de “colonialité du pouvoir” a offert un vaste programme de recherche sur la construction de rapports de pouvoir enchevêtrés dans la modernité occidentale qui se ont été imposées de force au reste du monde