L’objectif de ce texte est de se demander dans quelle mesure la notion de “colonisation” peut aider à penser une théorie globale des rapports sociaux d’oppression.
Des théories sectorielles aux théories connectées
L’épistémologie de l’histoire a connu un renouvellement récent avec l’histoire globale et l’histoire connectée. Mais, cette manière d'appréhender, la réalité sociale sous l’angle du global et de la connexion n’a pas encore suffisamment pénétrée la réflexion au sein des théories critiques qui tend à se contenter de théories sectorielles.
Avec la notion de “colonisation”, il s’agit de se demander dans quelle mesure cette notion peut constituer un concept permettant d’aider à la reconstruction d’une théorie critique globale.
- La notion de “colonisation”: une notion qui englobe rapports de travail et idéologie
Le processus de colonisation consiste dans la mise en oeuvre par un groupe social d’un processus qui lui permet de s’emparer de la force de travail, de l’espace de vie, du temps et de la pensée d’un autre groupe social.
- La colonisation du corps de la femme: Le courant féministe Kurde initié par Ocalan (influencé par Bookchin), la jineologie (science de la femme), considère que les femmes ont été le premier peuple colonisé de l’histoire. Il est possible de rapprocher cette thèse du féminisme communautaire latino-américain qui établit également un parallèle entre la colonisation de la terre et la colonisation du corps des femmes (voir Julieta Paredes).
- La colonisation capitaliste et raciale: L’apport de Quijano au paradigme de la colonisation est double. Il a montré que le capitalisme s’est construit sur la base d’une racialisation du travail. Il propose donc une théorie matérialiste du capitalisme et du racisme. Mais il a montré également que le paradigme de la colonisation ne s’est pas éteint avec la décolonisation officielle, mais se poursuit à travers la colonialité du pouvoir.
- La colonisation par l’Etat nation: James Scott, dans son ouvrage Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, montre également comment cette colonisation s’est effectuée par la colonisation de la forme Etat-nation a à travers le monde.
- La colonisation du monde vecu: L’école de Francfort - en particulier Habermas - montré que le technocapitalisme opère également une colonisation du monde vecu. Cette colonisation n’est pas seulement de l’ordre d’une colonisation du temps et de l’esprit. Avec le digital labor s’opère également une colonisation dans les rapports sociaux de travail.
- L’invasion culturelle (Paulo Freire): Le pédagogue brésilien Paulo Freire a également montré comment le processus de colonisation se caractérise par l’imposition d’une nouvelle culture qui vient soutenir la vision des dominants aux dominés et justifier l’ordre mis en place par eux.
- La hiérarchisation de l’humain dans le processus colonial: Dans le paradigme colonial, les êtres humains sont hiérarchisés en fonction de la valeur attribuée à la force de travail. Les femmes et les personnes racisées ont une valeur inférieure à l’homme blanc.
Alors que les hommes blancs sont soumis au régime du salariat, les racisés sont soumis au régime de l’esclavage, du travail forcé ou du travail clandestin. Les femmes sont elles soumis au travail gratuit domestique. Les homosexuels et les personnes en situation de handicap peuvent avoir une valeur encore moindre dans le processus colonial. En effet, les premiers sont considérés comme impropre au travail reproductif. Les seconds sont considérés comme impropre au travail productif.
Conclusion : Une théorie globale qui s’appuierait sur le paradigme « colonial » chercherait ainsi à établir comment l’ensemble des oppressions existantes peuvent être pensées comme une forme de colonisation ou s’inscrire dans le cadre d’un processus de colonisation.