Méta-théorie critique : niveau descriptif

 

 

La méta-théorie critique se donne deux objectifs : a) analyser les points de controverses qui opposent les mouvements sociaux entre eux et les approches critiques entre elles b) proposer des pistes pour dépasser ces oppositions.

 

Les problèmes posés dans la méta-théorie critique ne sont pas en réalité des débats abstraits à l’origine de débats spéculatifs. Ils surgissent sous l’effet des mouvements sociaux, de leur émergence et de leur transformation. Il y a donc une historicité des questions de méta-théorie critique.

 

Le premier objectif de la méta-théorie critique est donc d’essayer de produire une description la plus objective possible des points théoriques qui opposent les approches critiques entre elles. La méta-théorie critique se rapproche de la méta-ethique dont l’objet premier est une clarification et non pas une prise de positions au sein du champ de controverse. Ce niveau de la méta-théorie critique ne propose pas des réponses, mais il s’agit plutôt de formuler des problèmes, d’effectuer des descriptions et des modélisations.

 

Le second objectif est de produire une méta-théorie critique globale : le terme global désigne l’hypothèse de produire une théorie qui soit capable d’englober l’ensemble des mouvements sociaux et des revendications émancipatrices. On perçoit déjà dans un tel projet une difficulté théorique qui consiste à se demander s’il existe un concept d’émancipation qui soit commun même à l’ensemble des mouvements sociaux. L’hypothèse même d’une méta-théorie critique globale est une possibilité même qui est contestée par plusieurs théoriciens critiques comme De Sousa ou Judith Butler.

 

I- Conflits de premier niveau :

 

Les conflits de premier niveau sont les controverses telles qu’elles se posent aux actrices et acteurs militants.

 

1- Les causes légitimes :

 

La première difficulté tient à déterminer quelles sont les causes légitimes .

 

Voici une liste de différentes causes qui constituent la base de différents mouvements sociaux. Les formulations ne feraient pas nécessairement consensus, mais cela permet d’avoir une première idée de la diversité des mouvements de revendication  : la justice sociale économique, la condition des femmes, l’anti-colonialisme, la lutte contre le racisme, la protection animale, l’environnement, les conséquences de la technique, les droits des enfants, les droits des minorités régionales, les personnes en situation de handicap, les droits des minorités religieuses, les droits des peuples autochtones, les mouvements homosexuels, les mouvements trans, le mouvement intersexe, etc.…

 

Il s’agit le plus souvent de mouvements qui défendent les intérêts d’un groupe social.

 

Mais il arrive aussi qu’ils puissent défendre les intérêts de non humain : les animaux, l’environnement…

 

Il est aussi possible de se demander si toutes les causes ont un sens dans toutes les régions du monde. Par exemple, l’anti-spécisme peut paraître avoir une portée universelle, mais il est également possible de se demander s’il ne correspond pas à un rapport à l’animal qui émerge dans la modernité tardive occidentale et si ce rapport à l’animal à un sens par exemple pour des peuples autochtones.

 

Il semble donc difficile de bâtir une méta-théorie critique sur la base d’une cause ou d’une série de causes déterminées car il est toujours susceptible d’en surgir de nouvelles. Une méta-théorie critique globale devrait avoir une plasticité suffisante pour pouvoir accueillir en son sein de nouveaux mouvements de revendication.

 

Il existe en outre une autre difficulté qui se pose dans la prétention à construire une méta-théorie globale c’est qu’il s’agit de savoir si toutes les mouvements et toutes les revendications sont émancipatrices. Il n’est pas toujours certain que ce soit le cas. Le projet d’une méta-théorie critique global est donc dès le début soumis à une tension : admettre en son sein toutes les prétentions à l’émancipation (au risque du relativisme), ou décider d’exclure certains mouvements (mais au risque du dogmatisme sectaire).

 

2- Le sujet politique :

 

A fortiori établir un sujet politique de la méta-théorie critique est encore plus difficile car au sein d’une même cause, il peut y avoir des controverses même sur le sujet politique de cette cause.

 

Certains ont cherché à produire des sujets englobant : l’humanité (humanisme), comme le peuple (populisme de gauche), la multitude (Negri),...

 

Certains sujets ne sont pas humains, comme les animaux ou la nature. Cela pose alors le problème de savoir s’ils peuvent être des sujets politiques. Car ils ne peuvent pas lutter par eux-mêmes, ce qui semble contrevenir au principe d’auto-émancipation revendiqué dans d’autres causes.

 

3- La nature des revendications :

 

Les revendications peuvent être d’ordre :

- matérielle, économique

- politique, prise de décision

- culturelle, mode de vie, comportement.

 

Il semble un peu plus simple cette fois d’établir des structures communes : en effet, on retrouve ces trois types de revendications au sein de différentes causes. Certains actrices/acteurs insistant plutôt parfois sur l’une ou sur l’autre.

 

Le problème néanmoins est celui de savoir s’il y a une dimension plus fondamentale que les autres. La question se pose le plus souvent de savoir si l’économique détermine les deux autres dimensions. Ou encore, si une cause peut être légitime si elle n’a pas de dimension économique.

 

Il peut y avoir également des controverses portant sur la manière d’aborder ces trois dimensions. Par exemple le niveau économique peut être abordé soit comme une réalité matérielle, soit comme un ensemble de normes et donc comme idéel.

 

4. La contradiction dans les revendications :

 

- Les intérêts de certaines revendications de groupes semblent entrer en contradiction, par exemple : les femmes et les femmes trans (espace non-mixte), les femmes et les hommes homosexuels (GPA)...

 

5. Il est possible de remarquer des controverses communes à plusieurs causes :

 

- par exemple l’autonomie d’une cause par rapport à une autre : entre féminisme et capitalisme, féminisme et sexualité, capitalisme et anti-racisme...

 

- entre matériel et culturel : féminisme, écologie, handicap…

 

- La ligne de la nature et de la culture : handicap, femme, race, homosexualité, écologie

 

- Revendication : égalité ou droit à la différence (diversité)

 

Conclusion :

 

Il est possible d’établir une méta-théorie critique entre les causes qui présentent une structure analogue :

- mouvements sociaux portant les revendications de groupes sociaux ( et non pas de non-humains)

- mouvements sociaux structurés entre des revendications matérielles et des revendications culturelles

 

Dans les autres cas, il faudrait sans doute que les revendications puissent être restructurée de la même façon pour qu’elles puissent être formulé dans le cadre de la même méta-structure. Sinon, cela signifie qu’il s’agit de cadres méta-structurels hétérogènes.

 

Une méta-structure désigne une structure qui est commune à plusieurs causes. Par exemple, les controverses entre idéel et matériel sont une structure commune à plusieurs causes. On peut donc parler de méta-structure.

 

II- Antinomies de second niveau et méta-structures  :

 

Les antinomies de second niveau. Elles portent sur des controverses méta-structurelles. La méta-théorie critique se propose de modéliser les options de ces controverses pour les clarifier.

 

1- Matériel et idéel :

 

Il est possible de dégager les positions méta-structurelles suivantes :

 

- matérialisme éliminativiste : les dimensions culturelle, les représentations sont des illusions. C’est par exemple la théorie de la fausse conscience. La seule réalité est matérielle.

 

- matérialisme émergentiste : La réalité fondamentale est la réalité matérielle. La dimension idéelle émerge de cette réalité, mais elle ne s’y réduit pas. C’est par exemple le matérialisme dialectique.

 

- l’idéalisme absolu : la réalité matérielle n’existe pas, elle n’est qu’une illusion. Seul existe les dimensions idéelles. Il s’agit par exemple de la thèse de Baudrillard sur la mort de la réalité.

 

- le monisme : la nature des réalités dites matérielles et idéelles ne se distinguent pas fondamentalement. Elles sont les deux faces d’une même réalité, deux attributs d’une même substance. Il existe dans ce cas des tendances à rendre matériel l’idéel (par exemple Althusser, Gramsci, plus généralement matérialisme culturel ), ou à rendre idéel le matériel (par exemple Negri : capitalisme cognitif).

 

2. Nature et culture :

 

Il est possible de dégager les positions suivantes qui ne recoupent par d’ailleurs celles de l’anthropologie tel que l’a établi Descola :

 

- Le naturalisme intégral : cette position consiste à considérer que toute réalité, y compris sociale, peut être réduite à une explication biologique. Le naturalisme intégral se retrouve en particulier chez certains actrices/acteurs de l’écologie, par exemple dans l’écologie profonde.

 

- Le constructivisme radical : cette thèse consiste à dénier l’existence d’un donné naturel anté-social. Tout apparaît comme une construction sociale. Cette thèse est par exemple défendue par Bruno Latour dans sa théorisation de l’écologie.

 

- Le dualisme nature/culture : cette position consiste à considérer qu’une partie de la réalité est naturelle est une autre culturelle. On retrouve cette position par exemple dans l’opposition sexe/genre.

 

- La plasticité du naturel : il existe un substrat naturel, mais il est modifiable par l’effet de la culture. Cette plasticité du naturel sous l’effet du culturel peut être présent par exemple dans les mouvements de personnes trans.

 

Une question méta-théorique qui se pose est celle de savoir si la controverse nature/culture se pose de la même manière pour tous les mouvements sociaux. Par exemple, l’anti-racisme ne nie pas les différences phénotypiques, mais il nie que ces différences puissent être un principe d’organisation sociale. Il a de ce point de vue servi de base à la déconstruction de la naturalité d’autres causes : le féminisme, les mouvements sociaux de personnes handicapés, l’anti-spécisme...

 

Conclusion :

La méta-théorie critique est un champ de recherche et d’analyse dont le premier niveau consiste à décrire les controverses, à les clarifier, à modéliser les positions philosophiques qui les sous-tendent, à dégager les enjeux philosophiques…

Elle va plus loin que la sociologie des controverses en ceci qu’elle ne constitue pas seulement une description des controverses critiques, mais qu’elle en dégage les présupposés et les enjeux philosophiques.

 

 

Mots  clefs : méta-théorie critique, méta-théorie critique globale, controverse, antinomie, structure, méta-structure, description, modélisation.