Paulo Freire, extrait de « L’action culturelle pour la liberté » (1976)
De là, dans cette perspective critique, il est tellement important de développer, chez les apprenants comme chez l’éducateur, une pensée exacte sur la réalité. Et cela ne se fait pas à travers le bla-bla-bla, mais dans le respect de l’unité entre la pratique et la théorie.
Il est nécessaire, réellement, de libérer la théorie, de l’erreur dont elle couramment victime, et pas seulement en Amérique latine, selon laquelle est elle est identifiée au verbalisme, comme bla-bla-bla, comme perte de temps.
Cela est ce qui explique l’expression tant répétée parmi nous : « Si l’éducation en Amérique latine n’était pas tant théorique, mais plus pratique, les résultats seraient autres » ou « il est nécessaire de diminuer les cours théoriques ».
Cela explique aussi la division qui est faite entre les hommes et les femmes théoriciens et praticiens, mettant certains et certaines en marge de l’action, tandis que les seconds la réalise. La séparation, cependant, devrait être faite entre théoriciens et verbalistes. Dans ce cas, les premiers doivent être aussi praticiens.
Ce que l’on doit opposer à la pratique n’est pas la théorie, de laquelle elle est inséparable, mais le bla-bla-bla ou la pensée fausse.
Ainsi, comme il n’est pas possible d’identifier la théorie avec le verbalisme, il n’est pas non plus possible d’identifier la pratique avec l’activisme. Au verbalisme, il manque l’action, à l’activisme, la réflexion critique sur l’action.
Il n’est pas étrange, cependant, que les verbalistes, s’isolent dans leurs tours d’Ivoire et considèrent avec mépris ceux qui se consacrent à l’action, tandis que les activistes considèrent ceux qui pensent l’action, comme des intellectuels nocifs, des théoriciens, des philosophes, qui ne font rien d’autres que d’obscurcir l’activité.
Pour moi, qui me situe parmi ceux qui n’acceptent pas la possible séparation entre la théorie et la pratique, toute pratique éducative implique une théorie éducative.