Flammarion, 2018
336 p.
Dans cet ouvrage les économistes Raj Patel et Jason W. Moore soutiennent que le capitalisme industriel est né au milieu du XVe siècle sur l’Ile de Madère.
L’archipel de Madère, au large du Maroc, est composé d’une Ile principale qui lui donne son nom. Minuscule possession portugaise au large des côtés africaines, il joue pourtant selon les deux économistes américains Patel et Moore un rôle central dans l’avènement du capitalisme et des rapports sociaux de domination modernes.
En particulier les deux auteurs insistent sur le rôle que joue Madère dans la co-construction des rapports sociaux capitalistes, de racisation lié à la colonisation moderne et la destruction de l’environnement naturel. En effet, Madère sert de laboratoire au colonisateurs portugais pour mettre en œuvre l’économie de l’industrie de la culture sucrière qui a été à la base de l’économie du commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe à l’époque moderne.
En effet, pour mettre en place l’économie de l’industrie sucrière, les portugais recourent à l’esclavage d’abord avec les Guanches des Canaries – des berbères -, puis avec le recourt à des esclaves noirs provenant du Golfe de Guinée.
Pour faire, fonctionner les moulins de l’industrie sucrière, il faut du bois. Madère, qui signifie bois en portugais, voit ses forêts côtières dévastées par les exigences de la production économique. Seul sont épargnés les forets du centre de l’île peu accessibles.
La crise engendrée par la difficulté à se procurer du bois à bas pris et la découverte du Brésil ont raison de la centralité de l’archipel dans la production sucrière. Les auteurs semblent rejoindre ici les analysent décrites par Jared Diamond dans Effondrement en montrant les liens entre effondrement écologique et économique. Néanmoins, Madère garde une place stratégique qui a été souvent soulignée dans les études littéraire sur Jane Eyre de Charlotte Bronthé. En effet, après avoir été chercher des esclaves sur la côté africaine et en revenant du Brésil, les bateaux se chargent des tonneaux de vin de Madère qui ont remplacés en grande partie l’économie sucrière.
Néanmoins à travers cette archéologie de l’histoire moderne, les auteurs cherchent à mettre en lumière une thèse plus ambitieuse encore. L’économie qui s’est mise en place à Madère, à l’orée de l’époque moderne, est celle du « cheap » (du pas chère). En effet, l’esclavage permet de se procurer une main d’oeuvre cheap. Celle-ci permet de produire une alimentation cheap. C’est un processus généralisé que les auteurs décrivent à travers 7 domaines qui sont outre le travail et l’alimentation, la nature, le care, l’argent, l’energie et la vie. Car au fondement de l’ouvrage se trouve une réflexion sur les rapports entre le capitalisme et la vie elle-même. Cette perspective est ce qu'ils appellent « l’écologie-monde ».
Les auteurs se présentent comme des économistes socialistes ayant recourt à une grille intersectionnelle d’analyse. Néanmoins, leur étude va plus loin que les perspectives intersectionnelles habituelles car elle intègre la dimension écologique. Il faut noter que l’ouvrage est accompagné d’une très abondante bibliographie dans laquelle ils ont puisé pour étayer leurs thèses et sur un appareil de notes critiques.