Souvent mis en avant actuellement dans le vocabulaire des nouvelles pédagogies, les notions de créativité et d’innovation entretiennent pourtant des liens très étroits avec le vocabulaire du néolibéralisme.
Histoire de la philosophie : Création et imagination
Dans l’histoire de la philosophie, c’est non pas la notion de « créativité », mais de « création » qui est utilisée. La création renvoie étymologiquement à l’idée de procréation. Mais dans la tradition philosophique inspirée du christianisme, l’acte de création est réservé à Dieu. En effet, seul ce dernier serait capable d’un véritable acte de création, c’est-à-dire de créer ex-nihilo.
Une autre notion de la tradition philosophique est celle d’imagination. Considérée dans un premier temps comme une imagination reproductrice, simplement capable d’assembler entre eux des éléments déjà vus auparavant. Le type même de l’imagination reproductrice, c’est la chimère. Une créature mythologique produite par l’assemblage de différents être existant réellement par ailleurs.
Au XIXe siècle, avec la figure du génie romantique, la puissance créatrice de l’imagination est exaltée. Avec l’exaltation de la création artistique, l’imagination est vue comme une puissance créatrice et non pas seulement reproductrice.
Créativité et innovation
La notion de créativité est davantage une catégorie de la psychologie. Mais elle a connu un développement en particulier autour des métiers de la publicité. C’est le cas par exemple dans l’ouvrage de Osborn, L’imagination constructive. Osborn était un publicitaire américain inventeur de la méthode du brainstorming.
La notion d’innovation s’inscrit quant à elle plutôt dans la continuité des travaux de l’économiste A. Schumpeter. Ce dernier voit dans l’innovation technologique, l’origine d’un processus économique de « destruction créatrice ». Cela signifie que les innovations technologiques peuvent détruire des emplois, mais qu’elles sont à l’origine également d’un processus de création de nouveaux champs d’activité et d’emplois.
Cette importance accordée à la créativité dans l’économie néolibérale est en particulier présente dans les travaux de Richard Florida qui a théorisé l’existence d’une « classe créative ». Il voit dans l’existence de cette nouvelle classe sociale un facteur de croissance économique. Les villes doivent ainsi développer des stratégies pour faire en sorte d’attirer cette classe sociale qui se caractérise un mode de vie particulier.
Imagination et transformation sociale
Si l’on regarde les œuvres de grands auteurs de la critique sociale, on trouve plutôt des références à l’imagination qu’à la créativité.
Marcuse, dans Eros et Civilisation, voit par exemple dans l’imagination esthétique une protestation contre le principe de rendement qui régit le travail dans le système capitaliste. L’imagination nous permet de nier la réalité capitaliste actuelle, de dire que la réalité pourrait être autrement qu’elle n’est.
C’est la notion d’imagination que l’on retrouve également chez Cornelius Castoriadis. Celui-ci souligne l’importance de l’imaginaire dans les transformations socio-politiques historiques. L’imaginaire est une force constitutive d’un pouvoir instituant capable de transformer l’institué.
Conclusion :
Qu’une pédagogie d’émancipation sociale puisse développer chez les élèves une capacité à penser la réalité autre qu’elle est pour pouvoir la transformer, cela est certain. Mais que pour cela, elle reprenne des concepts qui sont ceux mis en avant par le néolibéralisme et non ceux qui ont été conceptualisés par les penseurs de la critique sociale, voilà qui est plus discutable.