Le courant de l’éducation basée sur les preuves met en avant une école reposant sur la recherche de l’efficacité. Pourtant, on peut s’interroger sur la place de la réflexion éthique dans une telle approche.
Pour interroger cette question, on partira de trois exemples:
Placer une fille et un garçon dans le plan de classe:
Parmi les tenants de l’éducation basée sur les preuves, se trouve le canadien Steve Bissonnette. Lors d’une conférence en décembre 2018 à l’Université de Mons en Belgique sur la gestion des comportements, il remarquait que la plupart des difficultés de comportement des enseignants sont avec des garçons. Il proposait donc comme pratique efficace d’alterner dans la classe : une fille, un garçon… Cette pratique de gestion de classe est souvent d’ailleurs utilisée chez les enseignants, du moins par exemple dans le primaire.
En soi, il n’y a pas en apparence de discriminations à mettre une fille et un garçon alternativement dans le plan de classe. En effet, une discrimination consiste à établir un traitement différencié et désavantageux pour un groupe de personnes.
Néanmoins, cette situation pose un problème éthique. En effet, les filles peuvent elles être délibérément utilisées comme des instruments de gestion de classe par les enseignants ? Le philosophe Emmanuel Kant explique que le fait de respecter une personne consiste à ne jamais la traiter simplement comme un moyen, mais toujours en même temps comme un fin. Or là, on a l’impression qu’il y a une simple instrumentalisation des élèves filles.
Mais en outre, cette situation pose une question plus vaste, c’est que les enseignants sont également censés lutter contre les stéréotypes et les préjugés qui sont souvent à la base des discriminations et non pas les reproduire. En cela, l’attitude de l’enseignant dans ce cas risque de renforcer l’idée que les filles, puis ensuite les femmes, auraient un rôle social à jouer d’apaisement du comportement des garçons et des hommes. Ce qui se traduirait à l’âge adulte par le fait que pour un homme, se « caser » avec une femme l’assagit.
En soi, un plan de classe avec une fille/un garçon peut se justifier pédagogiquement, mais non pas simplement comme un instrument de gestion de classe, mais comme une réflexion pédagogique plus large que mène l’enseignant-e dans sa classe sur la mixité scolaire. Celle-ci ne peut pas se réduire à une simple technique efficace. Elle implique un travail pédagogique plus vaste dont les enjeux sont entre autres une plus grande mixité dans les jeux des élèves, dans les filières d’orientation, puis dans les métiers.
Toucher les élèves:
Toujours dans la même conférence, Steve Bissonnette propose pour agir positivement sur les comportements des élèves, lorsque le fait de s’approcher d’eux ne suffit pas, de les toucher, par exemple en leur mettant une main sur l’épaule. Certes il précise que si l’on sent que l’élève ne veut pas être touché, il ne faut pas le faire.
Là encore, sur un plan éthique, on peut s’étonner d’un tel conseil qui relève de l’âgisme. Ce qui veut dire avoir un comportement irrespectueux vis à vis d’un enfant que l’on n’aurait pas avec un adulte. On ne s’avise pas en général d’entrer en contact physique avec une personne sans son autorisation. Et de manière générale, cela fait même partie du programme d’éducation à la sexualité d’apprendre aux très jeunes élèves qu’un adulte ne doit pas les toucher sans leur consentement. Cela ne veut pas dire que nous assimilons le fait de mettre la main sur l’épaule d’un enfant à un acte à connotation sexuelle, mais qu’il s’agit d’apprendre aux enfants que les adultes doivent respecter l’intimité corporelle des enfants. Plus tard, il s’agit d’expliquer aux adolescentes que personne n’est autorisé à rentrer dans leur distance personnelle sans leur consentement. Par exemple, que les adolescentes ont le droit si elles ne souhaitent pas de proximité physique de dire à une personne de se tenir un peu plus loin. Par conséquent le conseil qui consiste à dire que les enseignants peuvent entrer dans la distance personnelle des élèves et même les toucher pose un certain nombre de questions éthiques quand bien même cette méthode serait efficace.
Les évaluations nationales et stéréotypes sexistes
Les évaluations nationales de CP et de CE1 sont présentées comme étant basées sur des protocoles scientifiques. Pourtant plusieurs planches véhiculent des stéréotypes sexistes (voir: https://larotative.info/evaluations-nationales-des-2947.html ). Plusieurs planches, et pas uniquement les deux signalées dans l’article en lien véhiculent des stéréotypes sexistes.
On peut s’étonner là encore, sur le plan éthique de trouver de telles représentations. Plusieurs textes de l’éducation nationale et recommandation du Haut Conseil à l’égalité hommes/femmes, enjoignent les enseignants à être attentifs que le matériel pédagogique qu’ils utilisent ne véhiculent pas des stéréotypes sexistes.