La notion de discrimination peut faire l’objet de plusieurs approches qu’il est nécessaire de distinguer.
L’approche juridique
L’approche juridique de la discrimination en France avec la loi de 2008 doit beaucoup au droit communautaire. Par exemple, l’introduction de la notion de « race » dans le droit de la discrimination vient du droit européen.
La loi admet actuellement plus d’une vingtaine de critères de discriminations tels que l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le sexe, la « prétendue race » ou encore la particulière vulnérabilité économique.
Elle reconnaît aussi bien la discrimination directe que la discrimination indirecte. Cette dernière n’implique pas l’intentionnalité de l’individu. Cela veut dire qu’il n’est pas nécessaire que la discrimination soit intentionnelle pour qu’elle soit sanctionnable. Il suffit qu’une mesure conduise à un effet discriminatoire.
La loi de lutte contre les discriminations n’interdit pas les activités en non-mixité. Celles-ci sont légales si elles ont pour objectif de lutter contre les discriminations : « Ces principes ne font notamment pas obstacle : c) A l'organisation d'enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe ». Il faut noter la présence du « notamment » qui montre que la liste n’est pas exhaustive.
(Voir : Loi de 2008 - https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000018877783 )
Une autre notion a été reconnue par le droit du travail, c’est la notion de harcèlement discriminatoire : « « Tout agissement lié à [un motif prohibé], subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
La particularité du harcèlement discriminatoire par rapport aux autres formes de harcèlement, c’est qu’un seul agissement suffit pour que l’on puisse parler de harcèlement discriminatoire. Par exemple, un « SMS » envoyé à un salarié avec une « blague raciste ».
(Voir document : Harcèlement discriminatoire au travail - https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=17945 )
L’approche psychologique
La psychologie s’intéresse également aux discriminations à partir des notions de stéréotypes et de préjugés. Pour la psychologie, les discriminations tendent à avoir leurs sources dans des représentations mentales des individus.
Elle met en avant l’existence de biais inconscients liés à des association implicites.
(Voir par exemple le Test d’associations implicites - http://www.observatoiredesdiscriminations.fr/mesurez-vos-prejuges )
En dépit de son intérêt, l’approche psychologique présente certaines limites :
- La première tient au fait que la discrimination n’est pas une pensée, mais un acte : « une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable » (Loi de 2008).
Cela signifie qu’il ne suffit pas d’avoir des stéréotypes et des préjugés pour que cela conduise à des discriminations. Une personne peut avoir un stéréotype ou un préjugé sans que cela ne donne lieu à une discrimination. Par exemple, dans les biais de notation à l’école, il arrive que des élèves soient surnotés parce que les enseignants ont peur de les désavantager (voir Pierre Merle, Les pratiques d’évaluation scolaires, PUF, 2018 : chapitre 5 – Les biais d’évaluation scolaires et sociaux ».)
L’autre limite de l’approche psychologique, c’est qu’elle ne prend pas forcement en compte l’origine sociale des bais cognitifs et peut avoir tendance à les naturaliser. Par exemple, certaines attitudes racistes seront analysées comme une simple préférence cognitive « universelle » pour l’endogroupe. (Voir le documentaire : « Je ne suis pas raciste, mais... » - https://www.dailymotion.com/video/x1ramb1 )
Le racisme n’est plus alors analysé en lien avec la construction historiques de catégories raciales en lien avec l’histoire de la colonisation, mais comme le produit du fonctionnement « normal » de l’esprit humain.
L’approche sociologique
Cette dernière va se démarquer par une analyse plus large de la discrimination que ne le fait le droit ou la psychologie :
- la micro-discrimination : la sociologie va par exemple s’intéresser à des phénomènes de discriminations infra-légales, qui échappent au droits car de trop petite ampleur et qui sont inconscients (Voir sur la micro-discrimination – Livret du réseau des discriminations à l’école - http://reseau-lcd-ecole.ens-lyon.fr/IMG/pdf/livret_reseau_lcd_ecole_v2.pdf )
- La discrimination institutionnelle: la discrimination institutionnelle résulte du fonctionnement d’une institution sans que les acteurs de cette institution n’aient d’intentions discriminatoires, ni sans que cette institution se donne explicitement des règles discriminatoires dans son fonctionnement.
Le droit français ne reconnaît pas en tant que tel le concept de « discrimination institutionnelle ». Mais le droit de la Province de l’Ontario au Canada reconnaît la notion de « racisme systèmique » dont la définition est en réalité équivalente à celle de « racisme institutionnelle » : « Le racisme systémique se manifeste lorsqu’une institution ou un ensemble d’institutions agissant conjointement crée ou maintient une iniquité raciale. Cette attitude n’est pas toujours intentionnelle et ne signifie pas nécessairement que le personnel de l’organisme concerné est raciste. C’est souvent le fruit de préjugés institutionnels dissimulés dans des politiques, pratiques et processus qui favorisent ou désavantagent les personnes en fonction de la race. La perpétuation de certains modes de fonctionnement peut également être en cause, si personne ne s’interroge sur la façon dont ils peuvent affecter certains groupes en particulier. » (Voir : Texte de l’Ontario - https://www.ontario.ca/fr/page/une-meilleure-facon-davancer-plan-strategique-triennal-de-lontario-contre-le-racisme )
- La discrimination structurelle (ou systémique) : Il s’agit d’une discrimination qui est analysée au niveau statistique par les sociologues dans plusieurs sphères d’activité sociale. Par exemple, on peut dire qu’il y a une discrimination structurelle des femmes par rapport aux hommes dans la société française car on la retrouve à plusieurs niveaux de la société (voir par exemple : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/les-inegalites-femmes-hommes/ )
Certains auteurs tendent à disqualifier l’approche en termes de discrimination en la renvoyant à une idéologie individualiste et libérale dont le droit et/ou la psychologie serait des illustrations (Voir : Michea, Le loup dans la bergerie, Flammarion, 2018). La lutte contre les discriminations est alors opposée par ces auteurs à la lutte contre les inégalités sociales. La lutte contre les discriminations aboutirait à un management de la diversité où il s’agirait pour l’économie capitaliste de ne pas se priver des talents par des discriminations qui en réalité auraient un coût économique en termes de profit.
En réalité, l’approche sociologique par les discriminations structurelle va plus loin que cela. Car en effet, elle interroge le fonctionnement même de l’organisation sociale et implique donc une transformation structurelle de la société pour en modifier le comportement et non pas seulement une action sur les comportements individuels. La notion de discrimination sociale structurelle (ou systémique) montre donc le lien qu’il existe entre les discriminations et les inégalités sociales structurelles.
L’approche matérialiste des discriminations structurelles considère que celles-ci trouve leurs racines dans la division sociale du travail (Voir Kergoat, Se battre disent-elles…). Les discriminations ne trouvent pas leurs origines dans des représentations sociales. Ces représentations sociales sont elles même en rapport avec l’organisation sociale.
Conclusion :
Il faut faire attention qu’il existe différentes approches de la lutte contre les discriminations et que leur portée de critique sociale n’est pas toute la même. Cette importance de distinguer entre différentes conceptualisations d’une même notion se retrouve à tous les niveaux de la réflexion comme par exemple il existe différentes conceptualisation de la notion de démocratie.
Les approches juridiques et psychologiques de la lutte contre les discriminations présentent un intérêt, mais qui est plus limité que l’approche sociologique relativement à la conscience sociale critique.
La notion sociologique de discrimination structurelle rompt avec une vision de la discrimination pensée en termes individualiste et psychologique. La discrimination n’a pas son origine dans les représentations des individus, mais au-delà dans l’organisation sociale matérielle de la société.
Pour aller plus loin :
Sur la différence entre ces trois approches des discriminations :
Bereni Laure, Chappe Vincent-Arnaud, « La discrimination, de la qualification juridique à l'outil sociologique », Politix, 2011/2 (n° 94), p. 7-34. DOI : 10.3917/pox.094.0007. URL : https://www.cairn.info/revue-politix-2011-2-page-7.htm
Duhme Fabrice - « Former les enseignants contre les discriminations » - https://www.lairedu.fr/media/video/conference/former-enseignantes-non-discrimination/
Dhume Fabrice, « Du racisme institutionnel à la discrimination systémique ? Reformuler l’approche critique », Migrations Société, 2016/1 (N° 163), p. 33-46. URL : https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-1-page-33.htm