Voici ci-dessous quelques propositions de règles d’action socio-éthique. Il s’agit de propositions dans la mesure où les règles socio-éthiques peuvent faire l’objet de discussion et ne sont pas des dogmes absolus. Elles relèvent plutôt de la phronèsis, sensible au contexte, que de l’impératif catégorique.
1. L’enseignant-e doit commencer par se conscientiser sur la réalité des inégalités socio-scolaires
Il n’est pas possible de mettre en œuvre une pédagogie socio-éthique et une didactique critique si l’on n’a pas déjà soi-même commencé par conscientiser en quoi dans sa pratique, inconsciemment, on peut reproduire les inégalités socio-scolaires et les discriminations.
Cela suppose de se former en écoutant la parole des personnes vivant ces discriminations afin de se sensibiliser à ne pas les reproduire. Cela suppose de respecter le savoir social de ses élèves sur les discriminations que ceux-ci et celles-ci vivent.
Cela suppose donc d’avoir une connaissance de la littérature sociologique sur les inégalités sociales et les discriminations sur le sujet.
2. Une pédagogue critique socio-éthique évite de véhiculer des préjugés sociaux négatifs sur les élèves, les familles des élèves ou des membres de la communauté éducative.
Bien souvent trop d’enseignants véhiculent des préjugés sociaux négatifs sur les familles ou les élèves : sexisme, préjugés éthno-raciaux, classisme, pauvrophobie…
Cela peut être en ce qui concerne :
- des remarques orales ou écrites véhiculant des stéréotypes négatifs
- des préjugés sociaux lors de l’orientation des élèves
- des préjugés sociaux orientant les sanctions prises à l’encontre des élèves.
3. Une pédagogue socio-éthique doit autant qu’il peut favoriser la démocratie sans verser pour autant dans le laxisme et se laisser reproduire d’autres rapports sociaux de pouvoir dans sa salle de classe.
La mise en œuvre d’un climat de classe démocratique peut passer par différents éléments comme le fait de favoriser la prise de décision chez les élèves, ou encore de favoriser la discussion.
Néanmoins, l’enseignante doit être également attentive que ces pratiques démocratiques ne reproduisent pas d’autres rapports du pouvoir comme des rapports de pouvoir classistes ou sexistes.
4. L’agir socio-éthique vise à éviter de renforcer le « délit d’initié » (Bourdieu) dont bénéficient les élèves de milieux favorisés.
Par sa manière d’enseigner explicitement et son action en général, l’enseignant-e vise rétablir de l’égalité sociale entre les élèves de milieux défavorisés et les élèves favorisés.
Cela concerne de nombreux domaines :
- être attentif à ne pas considérer comme évidents un certain nombre d’attentes en termes comportementaux qui sont en réalité situés socialement.
- être attentif à ne pas considérer comme évident et à laisser dans l’implicite certaines attentes cognitives, à ne pas enseigner certaines stratégies cognitives qui sont maîtrisées par certains élèves en fonction de leur milieux sociaux
- à faire en sorte que les attendus des évaluations scolaires soient explicites pour tous les élèves quelques soit leur origine sociale.
- à ne pas demander de réaliser à la maison des devoirs qui ne peuvent pas être réalisés sans l’aide des parents ou par un élève en situation de précarité socio-économique.
5. Une différentiation pédagogique n’est juste que si elle améliore le sort des plus défavorisés sur le plan socio-scolaire
Comme le souligne Paulo Freire, la socio-éthique adopte le point de vue des exclus, des opprimés. Or une différentiation pédagogique n’est pas toujours en faveur de ceux qui sont en situation d’inégalités socio-scolaires. C’est pourquoi une règle socio-éthique peut consister à adopter le principe de différence de Rawls.
6. Un pédagogue critique socio-éthique est attentif à ce que le matériel scolaire et les supports scolaires ne véhiculent pas stéréotypes sociaux, que les espaces scolaires soient inclusifs pour toutes et pour tous
Ce matériel scolaire, cela peut être des jouets, des affichages, des albums jeunesses ou encore par exemple des manuels scolaires.
Elle/il veille à ce que les espaces scolaires soient safes et inclusifs.
Elle/il adopte un langage inclusif.
7. Une pédagogue critique socio-éthique adopte une posture d’allié-e des opprimées
Il/elle agit avec elles/eux et cherche à augmenter leur pouvoir d’agir et n’agit pas sur eux/elle (pouvoir instrumental).
Elle/il intervient pour soutenir un élève qui est victime de (micro-)discriminations à l’école que ce soit de la part d’autres élèves ou d’autres membres de la communauté éducative.
7. Une pédagogue critique socio-éthique vise l’émancipation sociale par le développement de la conscience sociale
Elle ne se contente pas de mettre en oeuvre des pratiques qui peut être favorisent l'émancipation individuelle, et qui peuvent ne pas se différentier de la pédagogie entrepreneuriale par ses méthodes, mais n'ont pas de portée directe en termes d'émancipation sociale.
Il ne s’agit pas seulement d’apprendre à lire et à écrire, mais d’apprendre à lire et à écrire de manière critique.
Il ne s’agit pas seulement d’apprendre à faire des mathématiques et des sciences, mais à mettre en lumière les enjeux sociaux des mathématiques et des sciences.
Il/elle aborde dans ses contenus de cours les thématiques ayant trait aux discriminations et aux inégalités sociales.
8. Une pédagogue critique socio-éthique essaie de développer les capacités d’engagement pour la justice sociale des élèves
Cela peut passer par des projets visant à réaliser des actions en faveur de la lutte contre les discriminations et la justice sociale.
9. Une pédagogue socio-éthique considère que la lutte pour de meilleures conditions de travail et contre les discriminations dans l’organisation du travail scolaire fait partie de la socio-éthique, et donc de la pédagogie.
La pédagogie socio-éthique ne s’arrête pas à la classe sociale, elle vise la transformation de l’institution scolaire et au-delà de la société par les luttes sociales et en particulier syndicales.
10. Une pédagogue socio-éthique ne transforme pas les techniques didactiques en dogmes pédagogiques, mais sait qu’ils ne sont que des moyens qui doivent toujours être subordonnées aux finalités socio-éthique et en conformité avec l'agir éthique.
Pour cela, il/elle est toujours prêt à remettre en question ses pratiques d’enseignement si les observations ethnographiques de sa pratique enseignante montrent qu’elle reproduit des inégalités socio-scolaires de classes sociale, de genre ou encore ethno-raciale.