L’agir éthique constitue la dimension de la pédagogie qui est plus spécifiquement consacrée à la question de l’action pédagogique. Le texte ci-dessous propose une liste d’exemple de question qui relèvent de l’agir éthique en pédagogie (P.4)
1. Différence entre agir éthique et agir technique
La pédagogie met en œuvre des finalités axiologiques. Mais il faut effectivement des moyens concrets pour réaliser ces finalités pédagogiques.
L’agir technique ou didactique se pose la question des moyens les plus efficaces pour atteindre cette finalité. Sur ce plan, tous les moyens peuvent-être bons, y compris les « ruses éducatives », pour atteindre cette finalité.
L’agir éthique vient normer l’agir technique pour éviter de transformer l’éducation en une simple instrumentalisation d’autrui, y compris pour « son bien ». Pour l’agir éthique, tous les moyens ne sont pas nécessairement bons pour réaliser une finalité fusse-t-elle désirable en elle-même (comme l’émancipation sociale).
2. Différence entre agir éthique et agir socio-éthique
L’agir éthique en éducation est développé par différents travaux. Au Canada, on peut par exemple citer l’ouvrage dirigé par : Anne-Lise Saint-Vincent, Le développement de l’agir éthique chez les professionnels en éducation (PUQ, 2015).
En France, à travers l’éthique relationnelle, Christophe Marsollier, développe également un agir éthique basé sur la bienveillance (https://www.youtube.com/watch?v=_R-nALPud-s). En effet, il ne suffit pas de vouloir être bienveillant (C’est pour ton bien d’Alice Miller illustre ce que peut être une forme paradoxale de « bienveillance »). Il faut aussi agir de manière bienveillante. C’est le rôle de l’agir éthique.
Mais, la « bienveillance » en soi ne suffit pas pour viser l’émancipation sociale. En effet, comme le rappelle Christophe Marsollier, la bienveillance est également une vertu qui est recherchée par le management néolibéral.
C’est pourquoi un agir éthique d’émancipation sociale, ne peut pas être un agir éthique reposant sur la psychologie individualiste, mais sur une philosophie sociale. Il s’agit donc d’une socio-éthique.
L’agir socio-éthique en éducation, pour Paulo Freire, est un agir qui poursuit les finalités d’émancipation sociale. Celle-ci consiste à faire en sorte que chaque être humain puisse vivre une vie digne. Pour cela, l’agir éthique en éducation doit être en adéquation avec ces finalités. C’est pourquoi, il défend une éducation dialogique et problématisante. Mais il s’oppose à des pratiques qui réifient l’être humain : pédagogie bancaire, manipulation, invasion culturelle….
C’est ce que développe Paulo Freire dans Pédagogie de l’autonomie. Il est possible de reprendre le triangle des modèles pédagogiques de Philippe Meirieu pour comprendre en quoi il s’agit d’une pédagogie complète et non pas seulement d’une philosophie de l’éducation :
- La finalité axiologique est la lutte contre les discriminations et les inégalités sociales, ou dit autrement : l’émancipation sociale. De manière générale, l’enjeu est l’humanisation sociale et la lutte contre la déshumanisation sociale.
- Les connaissances mobilisées dans la pédagogie critique sont les sciences sociales critiques (Théorie critique, Intersectionnalité, sociologie des rapports sociaux…).
- Enfin, le pôle praxéologique en est constitué par l’agir éthique ou plus particulièrement dans ce cas, l’agir socio-éthique.
3. Mieux comprendre l’agir éthique, et la différence entre l’agir éthique et l’agir socio-éthique
a- L’agir éthique prend en compte des questions qui sont souvent évacuées par les conceptions techniciennes de la pédagogie et qui débordent la salle de classe :
Par exemple : La pédagogie doit-elle se restreindre à la salle de classe ou la lutte pour de meilleures conditions de travail est-elle une dimension de la pédagogie ?
Dans la pédagogie socio-éthique de Paulo Freire, la réponse est très claire :
"La lutte des professeurs pour la défense de leurs droits et de leur dignité doit être entendue comme un moment important de leur pratique d'enseignant, en tant que pratique éthique" (Pédagogie de l'autonomie)
b- L’agir éthique lutte contre la transformation de tous problèmes humains en problèmes techniques.
La relation éducative ne relève pas que de problèmes techniques, mais également relatifs à des questions de relations entre des personnes humaines. Dans l’éducation, il ne s’agit pas d’une relation entre un être humain et des objets, mais d’une relation entre des sujets humains. L’agir éthique vise à maintenir ce qu’il y a de spécifiquement humain dans la relation éducative.
Il ne s’agit pas par exemple de se demander « comment avoir des techniques de gestion de classes efficaces ? », mais « comment puis-je construire une relation humaine mutuellement respectueuse au sein de la classe ? ».
La domination de la raison instrumentale consiste à transformer la relation éducative en une question purement technique : des robots-enseignants utiliseraient des méthodes techno-scientifiques pour faire apprendre à des élèves qui ne sont considérés que comme des cerveaux-machines.
L’agir éthique refuse le réductionnisme d’une éducation humaniste à une instruction mécanique.
c- L’agir socio-éthique se distingue de l’agir éthique dans la mesure où il reformule tous les problèmes d’agir éthique sous l’angle des rapports sociaux de pouvoir.
Par exemple, non pas comment construire de la co-éducation avec les familles, mais comment l’école peut établir des relations respectueuses avec les familles de milieux populaires ou en situation de grande pauvreté ?
4. Exemples de question relatives à l’agir éthique et socio-éthique :
Les questions peuvent être formulées simplement sous l’angle d’un agir éthique. Mais ci-dessous nous allons faire le choix de plutôt les reformuler directement sous une forme socio-éthique. Ce qui demande déjà au préalable d’avoir pris l’habitude de formuler les questions pédagogiques non pas sous formes d’agir technique, mais sous formes d’agir éthique.
- Exemples de questions relatives à la communauté éducative :
Comment établir des relations respectueuses avec les familles des élèves socialement minorés (exemple : milieux populaires, grande pauvreté, homoparentale, racisés…) ?
Comment réagir face à une situation d’abus de pouvoir d’un supérieur hiérarchique ?
Comment réagir si j’apprends qu’un ou une collègue me confie qu’il ou elle est victime de harcèlement discriminatoire au travail ?
- Exemple de questions en relation avec la pratique didactique :
Comment puis-je agir contre les stéréotypes et les discriminations afin de faire de la salle de classe un espace scolaire plus inclusif ?
Quelle vigilance dois-je avoir pour ne pas reproduire et amplifier les inégalités socio-scolaires ?
Quels règles éthiques dois-je suivre pour organiser une différentiation pédagogique équitable visant à diminuer les inégalités socio-scolaires entre les élèves ?
Quels principes d’action prendre en compte pour favoriser le développement de la conscience sociale critique des élèves dans les différentes disciplines scolaires ?
- Exemples de questions concernant la relation entre élèves et enseignants :
Comment puis-je éviter de transformer un élève en déviant scolaire (souvent garçon de classe populaire) ?
Comment puis-je intervenir pour soutenir un élève socialement discriminé qui est victime d’exclusion ou de discriminations par ses camarades à l’école ?
Comment puis-je mettre en œuvre un climat plus démocratique dans la salle de classe tout en étant attentive à ne pas amplifier d’autres rapports sociaux ( de sexe, de classe sociale…) ?
Comment puis-je aider à développer entre les élèves des relations humaines non-discriminatoires ?
Comment puis-je développer chez les élèves des valeurs de coopération et d’affirmation de soi, de sensibilité à l’injustice sociale et d’engagement contre l’injustice sociale ?
- Exemple de questions relatives au sens de l'éducation:
Comment articuler dans la pratique éducative la visée d'émancipation individuelle et d'émancipation sociale ?
Conclusion :
Le rôle de l’agir éthique n’est pas de répondre techniquement à ces questions (par exemple en proposant des outils), cela c’est le rôle de la didactique critique. Le rôle de l’agir éthique, c’est de proposer des pistes d’action qui veillent à l’adéquation des fins et des moyens dans l’agir éducatif. Cela afin que les techniques didactiques qui sont utilisées soient en accord non seulement avec les finalités éthiques, mais également avec une action éthique. Selon le principe suivant : une technique pédagogique n’est acceptable, pas seulement si elle permet d’atteindre une finalité humaniste, mais si elle respect l’humanité de l’humain. Dit autrement, une technique pédagogique est acceptable si elle :
- n’amplifie pas les inégalités socio-scolaires et si elle n’induit pas des discriminations
- si elle ne réduit pas l’être humain au rang d’objet, au lieu de le traiter comme un sujet
- si elle développe chez lui la conscience critique et plus encore la conscience sociale critique
- si elle vise à l’humanisation de l’être humain, c’est à dire qu’elle permet de développer une éducation en accord avec la recherche de sens de l’être humain et le fait qu’il s’agit d’un être de culture.
Plusieurs réponses à ces questions sont abordées dans:
- Paulo Freire, Pédagogie de l’autonomie, Eres, 2013.
- Le site Internet : Pédagogie anti-discrimination - http://pedagogie-antidiscrimination.fr/
(En particulier dans la partie, « action » de chaque thématique consacrée à une discrimination)