Un mouvement de fond traverse actuellement le monde de la recherche en éducation, à savoir l’éducation par les preuves. Néanmoins peut-on se contenter de la recherche par les preuves pour guider l’éducation ?
L’éducation par les preuves
L’éducation par les preuves constitue un courant de recherche prenant appui sur des méthodologies provenant des sciences médicales.
Ce sont des méthodes qui sont d’inspiration expérimentales. Elles reposent sur la mise en œuvre d’un groupe test, d’un groupe témoin, d’un pré-test et d’un post-test pour établir l’efficacité d’une méthode d’apprentissage.
Il ne s’agit pas nécessairement ci-dessous de revenir sur les problèmes que peuvent poser cette méthodologie sur le plan épistémologique, mais de mettre en lumière d’autres problèmes philosophiques.
Les finalités en éducation
L’éducation par les preuves en prenant comme référence la médecine masque une difficulté.
En ce qui concerne la médecine, il existe une finalité qui fait consensus, c’est la santé. En éducation, il existe des finalités différentes et parfois qui entrent en opposition : l’instruction, l’éducation de l’individu, l’éducation citoyenne, la formation professionnelle…
Mais l’éducation par les preuves n’occulte pas seulement la finalité derrière une discussion technique sur les moyens, elle occulte également la nécessaire discussion éthique des moyens.
L’agir éthique
En effet, les méthodes qui s’intéressent à l’efficacité des méthodes occultent qu’il ne s’agit pas seulement de viser l’efficacité entre le début et la fin du processus, en se désintéressant du processus lui-même.
En effet, le processus d’enseignement en lui-même pose un ensemble de questions relativement au caractère éthique des moyens mis en œuvre et l’adéquation de ceux-ci avec la vision de l’être humain qui correspond à l’idée que nous nous faisons de la dignité humaine.
La dignité constitue ce qui fait la différence entre la machine que l’on programme et l’être humain que l’on éduque. Éduquer un être humain de manière digne, c’est respecter cette différence.
Paulo Freire, lorsqu’il critique la pédagogie bancaire, il s’agit pour lui de critiquer un type d’éducation qui ne respect pas ce qui fait la dignité de l’être humain.
Les pratiques dialogiques respectent l’être humain car elles le traitent à la fois comme un sujet de pensée et comme un sujet moral digne de respect.
Les pratiques anti-dialogiques sont à l’inverse selon Paulo Freire : la manipulation, la conquête, l’invasion culturelle et la division.
La manipulation consiste par exemple à utiliser des ruses éducatives pour parvenir à ses fins dans l’éducation ou dans l’apprentissage. Ce qui bien évidement ne va pas sans poser un problème de cohérence entre les moyens de l’éducation et la finalité éducative.
L’invasion culturelle consiste à imposer une culture à un groupe minoritaire – éthno-racial ou de classe sociale – sans respecter sa culture hors l’école.
La division peut consister dans une forme de gestion de classe qui s’appuie sur l’adage : diviser pour mieux régner. De manière générale, la division peut être une désignation qui conduit à s’interroger sur le caractère éthique des techniques mises en place pour gérer une classe.
La conquête consiste dans toute manière d’imposer le rapport d’apprentissage par la contrainte telle que des menaces ou des humiliations.
La boite noire de la classe
Avec des méthodes qui ne mesurent que l’efficacité entre un avant et un après lors d’un processus, on ne possède pas d’observation du processus en milieu écologique.
Ce qui ne peut pas être observé, c’est en particulier l’agir éthique lors du processus d’enseignement.
Cela est d’autant plus complexe qu’il n’existe pas de quantification possible d’un agir éthique. Il ne peut s’agir que d’une appréhension qualitative d’une situation d’interaction dans l’enseignement.
L’analyse du caractère éthique du processus suppose des observations menées par des spécialistes de l’agir éthique enseignant.