En réponse à des inquiétudes : certains et certaines semblent craindre que les pédagogies critiques/radicales tentent de se constituer en mouvement pédagogique concurrent aux pédagogies Freinet. Est-ce le cas ?
L’objectif de l’introduction des pédagogies critiques/radicales en France est-il la constitution d’un mouvement pédagogique de masse concurrent aux pédagogies émancipatrices qui existent déjà en France ?
Répondons à cette inquiétude clairement : NON, ce n’est absolument pas l’objectif et cela pour plusieurs raisons.
Une bonne comparaison en cela peut-être fait avec le syndicalisme. Le syndicalisme a visé à constituer un mouvement de masse de travailleurs sur la base de leurs conditions de travail et non sur la base de leurs idées. C’est pourquoi le syndicalisme révolutionnaire a pu réunir des anarchistes, des blanquistes ou encore des allémanistes.
En cela, il est possible de comparer le développement du syndicalisme et du mouvement Freinet. Le mouvement Freinet s’est développé sur la base de pratiques pédagogiques et non pas d’une théorie pédagogique qui est ce que Freinet a critiqué sous le nom de « verbalisme ».
Néanmoins, des militants libertaires ont pu considérer le syndicalisme révolutionnaire comme insuffisant et ont constitué des organisations « communistes libertaires ». Ces militants libertaires ont ensuite appartenu à différents syndicats, mais ils ont agit au sein de ces syndicats de manière à radicaliser le mouvement syndical et d’autres militants dans le sens d’une lecture révolutionnaire de la société.
On peut comparer le rôle des pédagogies critiques/radicales à cela. Elle permettent de rassembler des militants pédagogiques conscients qui ont envie de travailler plus spécifiquement sur les questions de rapports sociaux et de sensibiliser à ces questions d’autres militants pédagogiques qui y sont moins sensibles.
En effet, pour Paulo Freire, la pédagogie est une praxis. Elle suppose une théorie et celle-ci implique une lecture de la société en termes d’opprimés et d’oppresseurs. Ce qui veut dire en termes de rapports sociaux. Qu’est-ce qu’un rapport social ? C’est selon la sociologue Danièle Kergoat une tension qui oppose deux groupes sociaux antagonistes et qui structurent la société. Les classes sociales sont par exemple la conséquence d’un rapport social. La notion de rapport social permet d’analyser l’existence d’inégalités sociales et de discriminations systémiques.
Il est certain qu’au sein des mouvements pédagogiques plus larges, il existe des personnes qui ont des options idéologiques diverses et bon nombre de personnes n’y analysent pas la société en termes de rapports sociaux de pouvoir. Les pédagogies critiques/radicales s’adressent spécifiquement à des éducateurs/trices qui acceptent déjà l’analyse de la société en termes de rapports sociaux et qui désirent à partir de cette lecture de la société lutter contre les inégalités sociales et les discriminations en éducation.
La deuxième raison pour laquelle les pédagogies critiques/radicales ne sont pas en concurrence avec d’autres mouvements pédagogiques, c’est qu’elles n’ont rien à dire sur bon nombre de questions didactiques : efficacité des méthodes de lecture, méthode d’enseignement des mathématiques…. Tout cela n’est pas l’objet des pédagogies critiques et radicales. Leur objet est la conscientisation par le développement d’une littératie critique ou encore la conscientisation des enjeux sociaux des mathématiques et des sciences.
En revanche, les pédagogies critiques peuvent interroger les militants pédagogiques sur leurs rapports à certaines questions afin d’essayer de les « radicaliser » : comme le néolibéralisme, les inégalités sociales et les discriminations… C’est leur fonction critique… L'objectif est d'alors d'inciter à un dialogue critique qui fasse avancer la réflexion de toutes et tous sur ces questions.
Il est intéressant enfin de comprendre un point, c’est la distinction entre pédagogies émancipatrices, pédagogies critiques et pédagogies radicales.
Les pédagogies émancipatrices peuvent désigner plusieurs types de pédagogies comme celles illustrées par : les pédagogies libertaires, le GFEN, les pédagogies institutionnelles, la pédagogie Freinet ou les pédagogies critiques/radicales.
Les pédagogies critiques/radicales sont nées dans le sillage de Paulo Freire et d’Henry Giroux qui en particulier utilisent tous les deux ces deux notions pour parler de leur pédagogie.
La notion de « pédagogies critiques », dans le contexte français, est plutôt utilisée pour désigner une pédagogie qui a pour vocation à se développer dans le cadre de l’institution, en particulier scolaire. Elle se donne pour objectif de viser la lutte contre les inégalités sociales (art. L.111-1 du Code de l’éducation) et la lutte contre les discriminations (Référentiel de compétence des enseignants), l’éducation aux droits humains.
La notion de pédagogies radicales désigne de son côté un type de pédagogie qui n’a pas vocation à se développer dans le cadre institutionnel, mais plutôt dans un cadre militant, en dehors des contraintes institutionnelles.