La pédagogie critique implique une praxis de lutte contre la déshumanisation de l’enseignement, pour une ré-humanisation des relations d’enseignement.
Contre la domination technicienne en pédagogie
Le fait de considérer la pédagogie comme un ensemble de techniques ou une simple méthode conduit à une déshumanisation de l’enseignement. En effet, il en résulte plusieurs points problématiques :
a) la croyance que l’émancipation de l’être humain peut être obtenue avant tout par des techniques et non pas par une transformation socio-politique et un épanouissement existentiel des personnes.
b) la tendance au procéduralisme : bien enseigner ce serait appliquer un ensemble de procédures techniques sans même y mettre de sens.
Cette conception erronée de la pédagogie résulte en réalité d’une confusion entre pédagogie, qui est un agir ethique (praxis), et de la didactique (qui est un agir technique).
La pédagogie critique vise la lutte contre la déshumanisation dans les relations d’enseignement, c’est à dire à une relation qui traite l’être humain comme un objet, en particulier de fait d’enjeux capitalistes, de rapports sociaux de classes sociales, sexistes, racistes...
Par exemple, réduire l’enseignement à un entraînement à des compétences techniques, en vue de l’employabilité sur le marché, est une des formes de réification de l’enseignement et donc une déshumanisation de l’enseignement.
L'exacerbation de la déshumanisation peut être induite par l'imposition de nouvelles technologies du numérique, par l'éducation par les preuves...
Pour l’humanisation des relations d’enseignement
L’humanisation de la relation d’enseignement implique de refuser de considérer la pédagogie comme un ensemble de techniques et de procédure à appliquer.
La pédagogie critique recherche les conditions d’une relation d’enseignement authentique au sens d’une relation d’enseignement qui implique un dialogue véritable entre des êtres humains.
Paulo Freire, dans une conférence intitulée « Les vertus d’un éducateur progressiste », dit que l’une de ces vertus est l’amour. Par là, il entend que la relation d’enseignement authentique ne peut être fondée sur un faire semblant : dans une telle conception l’enseignant aurait appris des techniques qu’il appliquerait, sans s’impliquer subjectivement, par exemple pour faire semblant de s’intéresser aux élèves…
La pédagogie critique cherche à humaniser la salle de classe et plus largement l’école, à en faire un espace de relations authentiquement humaine, qui ne soit pas avant tout structuré par des rapports sociaux de pouvoir, mais par une considération authentique accordée aux personnes.
Il s’agit dès lors de se demander dans la relation pédagogique comment puis-je dans ma manière d’agir considérer les apprenants authentiquement comme des sujets, comme des personnes humaines, digne de considération.
Une finalité : le développement de la conscience sociale critique (« conscientisation »)
La finalité de l’enseignement, au sens de Paulo Freire, ce n’est pas apprendre, c’est développer la conscience sociale critique, la prise de conscience de l’existence de rapports sociaux de pouvoir qui déshumanisent les êtres humains et cela dans l’objectif de lutter contre.
Une telle finalité implique un parti pris de la part de l’enseignant-e, celle de considérer que l’enseignement des disciplines et leur didactique comme ayant pour finalité le développement de la conscience sociale critique.
Le refus de se limiter à la salle de classe
La lutte contre la déshumanisation de la relation d’enseignement ne peut être menée uniquement par un changement de pratiques dans la salle de classe.
En effet, les relations de la communauté éducative ne se limitent pas à la relation entre l’enseignant et les élèves, mais impliquent également des collègues et les parents d’élèves.
Mais au-delà de cela ce qui conduit bien souvent à la déshumanisation de la relation d’enseignement ne se trouve pas uniquement dans la relation entre les personnes, mais dans les conditions dans lesquelles ces personnes se trouvent placées :
- les classes surchargées
- le manque d’autres professionnel/les pour venir en aide aux élèves en grandes difficultés
- le programme surchargé
- le nombre trop important d’évaluation
- les relations avec la hiérarchie
- la violence de l’environnement social où se situe l’école
….
C’est pourquoi l’agir éthique de la pédagogie critique, contre la déhumanisation de l’enseignement, ne peut se limiter à un changement au niveau des relations interpersonnelles, mais implique une transformation des institutions scolaires.
C’est pourquoi Paulo Freire met en avant que la lutte pour les conditions d’enseignement fait partie de l’éthique enseignante, et donc de la pédagogie critique.
La forme scolaire traditionnelle : une institution disciplinaire
Comme l’a souligné Michel Foucault, la forme scolaire traditionnelle relève d’une institution disciplinaire qui est organisée selon des dispositifs de surveillance et de contrôle des corps.
Pour ré-humaniser la relation d’enseignement, il est nécessaire de remettre en cause la forme scolaire traditionnelle.
Mais, il est également nécessaire de combattre sa néolibéralisation qui aboutie à d’autres dispositifs de déshumanisation des relations d’enseignement.
De ce fait, tout le discours autour de la bienveillance des enseignants se trompe. Il ne s'agit pas d'être bienveillant avec les élèves, mais de lutter contre l'accélération de la déshumanisation dans la société actuelle par le néolibéralisme.
Conclusion :
La pédagogie critique se présente comme une lutte contre la déshumanisation de l’enseignement. Cette déshumanisation de l’enseignement résulte en particulier des conditions d’enseignement induites par la forme scolaire en tant qu’institution disciplinaire. Elle résulte également des choix budgétaires et d’organisation du travail dans le nouveau management public qui conduisent à exacerber la déshumanisation de l’être humain. Elles résultent enfin de l’organisation sociale dans son ensemble qui induit la reproduction des rapports sociaux de pouvoir dans la salle de classe.
La pédagogie critique implique de lutter contre l’ensemble des situations qui aboutissent aussi bien à la déshumanisation des personnels de l’éducation que celle des élèves et des étudiants.