Un enjeu du monde du travail et syndical : la lutte contre la désinsertion professionnelle

 

 

Encore peu connue, cette thématique est pourtant conduite à devenir un enjeu important du monde professionnel et syndical dans les années à venir.

 

Contexte de cette problématique sociale

 

En 2017, le rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) intitulé « La prévention de la désinsertion professionnelle des salariés malades ou handicapés » précise qu’« en matière de dialogue social, les thèmes du handicap et du maintien en emploi sont plutôt consensuels » (p.4) (1).

 

Pourtant ces problématiques restent en réalité largement méconnues et font l’objet de freins.

 

Or ce sont actuellement : « vraisemblablement entre un et deux millions de salariés qui sont menacés à court moyen-terme par un risque de désinsertion professionnelle (soit 5 à 10 % des salariés) » (p.3).

 

Néanmoins de plus en plus, ces questions sont amenées à se poser en lien avec les maladies chroniques qui touchent 20 % de la population française dont 10 % sont en ALD. Cela peut être illustré par exemple par le passage du SIDA du statut de maladie mortelle à celui de maladie chronique du fait du progrès des thérapies. Il en va de même par exemple d’un certain nombre de cancers.

 

Une autre raison plus ambivalente de cette importance de la lutte contre la désinsertion professionnelle tient à l’allongement des carrières : vieillissement de la population active, recul de l’âge de la retraite… Du côté des pouvoirs publics, il s’agit d’éviter qu’une partie de la population quitte l’activité professionnelle et ne soit tributaire uniquement de la protection sociale. Du côté des entreprises, la position est plus ambivalente. Le maintien dans l’emploi et l’aménagement de poste peut-être perçu comme un coût et l’inaptitude peut être préférable pour privilégier le recours à des salariés en meilleurs santé et plus jeunes, jugés plus productifs. Du côté des salariés, les enjeux peuvent être également ambivalents. Ils peuvent être confrontés à des pressions pour un retour plus rapide au travail ou encore à un refus de départ anticipé à la retraite, à un maintien forcé à l’emploi. Mais à l’inverse, bon nombre d’entre eux et elles craignent la perte de ressources financières, de lien social, mais également de réalisation de soi qui est lié pour eux et elles à l’activité professionnelle.

 

La prévention de la désinsertion professionnelle : la responsabilité de l’employeur

 

Selon le rapport de l’IGAS, « les études relatives aux inaptitudes… [celles-ci] sont rapportées pour les deux tiers d’entre elles à une origine non professionnelle » (p.15).

 

Néanmoins, cela ne veut pas dire loin sans faut que les employeurs n’ont pas une responsabilité à jouer dans la prévention du maintien dans l’emploi relativement à l’ensemble des maladies et des risques de handicaps.

 

En effet, face à la problématique du maintien dans l’emploi et de la lutte contre la désinsertion professionnelle, la responsabilité de l’employeur ne peut se limiter uniquement à la lutte contre les accidents du travail, les maladies professionnelles ou encore les risques psycho-sociaux au travail.

 

En effet, comme le recommande la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2019 : « Il est recommandé de repérer, en amont de tout arrêt de travail, toute altération de l’état de santé du travailleur ayant un retentissement sur ses capacités fonctionnelles et de travail » (2).

 

Ce qui veut dire que pour la Haute Autorité de Santé, l’employeur doit avoir la responsabilité de maintien dans l’emploi des salariés indépendamment même que la dégradation de l’état de santé soit directement liées aux conditions de travail.

 

De ce fait, il serait sans doute nécessaire que la législation et la jurisprudence considère comme une négligence de la part de l’employeur le fait de ne pas être intervenu pour favoriser le maintien dans l’emploi du ou de la salariée à partir du moment où il était possible de repérer une « altération de l’état de santé du travailleur ayant un retentissement sur ses capacités fonctionnelles et de travail ».

 

La prévention de la désinsertion professionnelle : le poids de l’organisation du travail

 

Selon le rapport de l’IGAS, « Il est souvent répété que 95 % des inaptitudes prononcées par les services de santé au travail aboutissent à un licenciement et que ceci signerait l’échec des politiques de maintien en emploi ».

 

Il est nécessaire de s’interroger sur les logiques profondes d’une telle situation. Avec les nouvelles formes de management néolibérales dans le secteur privé et leur extension au secteur public, il ne s’agit plus seulement de « bien faire son travail », il s’agit d’être « excellent » tout le temps, d’être à fond tout le temps…

 

Le productivisme exacerbé tend à faire disparaître les emplois qui permettaient aux personnes en situation de maladie invalidante ou de handicap de se reclasser. De même, dans une économie néolibérale, qui survalorise la performance, le ou la travailleuse en situation de handicap ou de maladie chronique peut être vu comme une personne peu productive.

 

Sur un plan éthique, l’on voit donc que la place des personnes en situation de handicap et/ou malade chronique conduit à des choix profonds concernant l’organisation du travail et le sens du travail. En effet, voulons-nous d’un monde du travail qui considère qu’il n’y a pas de place pour les personnes en situation de handicap et/ou malade chronique car il n’y aurait de place que pour les plus productifs? Ou considérons-nous que le monde du travail doit être organisé de telle manière qu’il permette à tout/tes les travailleuses de pouvoir y trouver une place en fonction de leur capacité ?

 

Les organisations du travail les plus tournées vers la performance et la compétitivité sont aussi celles qui sont les plus excluantes pour les personnes en situation de vulnérabilité. Dans ces organisations du travail, il n’y a en réalité pas de place pour toutes les personnes en situation de vulnérabilité sociale : les mères célibataires, les aidant-e-s, les personnes en situation de handicap, les personnes atteintes de maladie chronique…

 

En réalité, le choix que nous sommes conduits à faire concerne la place respective de la recherche d’efficacité économique et celle du respect de la dignité de chaque personne humaine quelque soit ses capacités et son état de santé.

 

Le maintien dans l’emploi et la lutte contre la désinsertion professionnelle : un changement de culture et de pratique dans le monde du travail néolibéral

 

Ainsi au-delà de la prévention, lorsque le handicap et la maladie sont déjà là, constitutifs d’évènements de la condition humaine, le maintien dans l’emploi suppose d’accepter des modifications dans les habitudes d’organisation du travail.

 

Or trop souvent encore les responsables hiérarchiques, les responsables de ressources humaines ne prennent pas en compte ces problématiques, y compris dans la Fonction publique.

 

Certains comportements peuvent ressortirent dès lors de la « discrimination indirecte » relativement à la situation de handicap ou à l’état de santé.

 

On peut avoir l’habitude de se réunir dans une salle qui en réalité est inaccessible à des collaborateurs/trices en situation de handicap. On peut avoir l’habitude d’organiser des réunions tôt le matin ou tard le soir qui ne peuvent pas être suivies par des personnes en situation de maladie chronique du fait de leur état de fatigue.

 

Changer les formes d’organisation du travail pour qu’elles soient plus inclusives pour tous et pour toutes constitue une lutte pour limiter la colonisation du travail par le management néolibéral.

 

S’organiser et lutter en tant que personnes en situation de handicap ou de maladies chroniques

 

Il y a au moins deux difficultés pour que les travailleurs et travailleuses en situation de handicap et de maladies chroniques se structurent en mouvement social :

 

- la première tient à la difficulté d’assumer publiquement l’identité de personnes en situation de handicap – quand 80 % des handicaps sont invisibles – et la situation de personnes malades – quand la maladie relève de l’intime et est protégée par le secret médical.

 

- la seconde tient au fait que la constitution de mouvements sociaux de personnes handicapées a eu lieu surtout dans les pays anglo-saxons et que le seul véritable mouvement social de personnes en situation de maladie, a été le mouvement des malades du SIDA.

 

Synthèse :

 

- La question de la lutte contre la désinsertion professionnelle des personnes en situation de handicap ou de maladie chronique est un enjeu social émergent par son ampleur.

 

- Au fond de cette problématique sociale, se trouve un enjeu de lutte contre l’extension du modèle néolibéral de travail qui touche tous les salariés.

 

- Il existe un vrai enjeu à ce que les travailleurs-ses en situation de handicap et/ou de maladies chroniques se mobilisent en ayant pour allié-s l’ensemble des autres travailleurs-ses

 

Références bibliographiques :

 

IGAS, « La prévention de la désinsertion professionnelle des salariés malades ou handicapés », 2017. URL : http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-025R_Tome_I.pdf

 

HAS, « Santé et maintien en emploi : prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs », 15/02/19. URL : https://www.has-sante.fr/jcms/c_2903507/fr/sante-et-maintien-en-emploi-prevention-de-la-desinsertion-professionnelle-des-travailleurs