Voici que l’on sollicite les éthiciens et éthiciennes (ou peut-être se sollicitent-ils eux-mêmes) pour réfléchir aux règles à appliquer si les appareils de réanimation et si les soins intensifs sont saturés du fait de l’afflux de malades atteints d’une forme sévère du coronavirus.
Les médias nous disent depuis plusieurs jours que la politique de triage est appliquée massivement en Italie, qu’elle l’est déjà sans doute dans l’Est de la France.
Certains écrivent : « Comment faire en sorte qu’à propos d’une « médecine d’exception », le médias ne communiquent pas des images et des informations suscitant des sentiments d’effroi ou d’injustice (…) ? »
Que dans les hôpitaux les soignants soient acculés par manque de moyens à pratiquer le triage est peut-être un fait inéluctable. Mais il faut être clair : jamais, cette politique ne pourra être considérée comme juste. Oui, elle ne peut que susciter « effroi » et sentiment « d’injustice ».
Certains peuvent considérer comme une évidence d’appliquer des principes utilitaristes : « Dans le cas de la crise sanitaire actuelle, cela revient à allouer en priorité les ressources vers les patients pour lesquels l’intervention a le plus de chance de succès et qui ont le plus d’années de vie à gagner en conséquence ».
D’autres peuvent considérer légitime d’appliquer le principe de priorité : donnant lieu à « des débats concernent le critère de la priorité qui peut être : l’âge des personnes, la gravité des cas (à un moment), les chances de guérison, l’utilité sociale (en particulier pour les soignants) ».
Pourtant, ces deux principes contreviennent à nos droits les plus fondamentaux qui considèrent « l’égale considération de toutes les vies humaines indépendamment de toute considération associée aux personnes ».
En effet, tout notre droit international depuis la 2e Guerre Mondiale et de la bioéthique par la suite s’est appuyé sur le principe de respect de la dignité de la personne humaine. « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits » (Article 1 de la DDHU de 1948).
La vraie question n’est pas celle de critères plus ou moins justes. Ils sont tous nécessairement injustes. Le vrai problème sera de savoir si ce désastre sanitaire et moral était évitable. Pouvait-on prendre la décision rapidement de faire confectionner plus de masque et de tester massivement la population ? Y-a-t-il eu des fautes politiques qui seront à l’origine d’un tel désastre moral ?
Mais plus encore, ce qui se profile, c’est que la politique de triage soit indirectement un triage social. Pas seulement celui des personnes les plus âgées et/ou en situation de handicap, mais également une sur-représentation parmi les personnes les plus gravement atteintes des ouvriers, de employé-e-s non qualifiées, des migrants, des plus précaires et des plus pauvres…
Comment une fois passé l’épidémie surmonterons-nous ce désastre moral et politique ? Comment en tant que parents ou qu’enseignants pourrons nous expliquer à nos enfants, à nos élèves, à nos étudiants, les choix qui ont été faits ? Comment pourrons nous leur expliquer que l’on a du choisir entre ceux qui avaient le droit de survivre et ceux qui n’en auraient pas la possibilité ?