Ou la rhétorique de communication sur la pénurie en temps de crise sanitaire
Face à une situation de pénurie des ressources médicales (maques, tests, appareils de réanimation…), la tentation est grande pour les pouvoirs publics et les organismes qui dépendent d’eux, de justifier sur le plan éthique la pénurie, et ainsi de masquer la responsabilité des choix économiques et politiques qui ont été faits durant des années, mais également les choix stratégiques effectués durant les deux mois qui ont précédés le stade de la pandémie.
- Un principe inconditionnel : l’égale dignité des personnes.
Depuis la fin de la 2e Guerre mondiale, le droit international, européen et national français, y compris en matière de bioéthique, repose sur un principe premier : l’égale dignité des personnes. Ce principe est premier relativement à tous les autres principes tels que par exemple la recherche d’efficacité.
- La loi Léonetti : les limites de l’acharnement thérapeutique
Il existe un autre principe présent dans le droit depuis la Loi Léonetti qui vise à limiter l’acharnement thérapeutique : « laisser mourir, sans faire mourir ». Il est donc légitime en situation normal – sans pénurie de ressources de soin – de ne pas chercher à maintenir en vie des personnes lorsque « le fait de pratiquer ou d’entreprendre des actes ou des traitements (...) apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ».
Néanmoins la limitation de l’acharnement thérapeutique ou obstination déraisonnable n’est pas de même nature que la gestion massive de la pénurie de moyens de soins. En effet, dans ce cas là, il ne s’agit pas d’un principe d’humanité, mais de la conséquence de choix politico-économiques.
- Injustice de la gestion de pénurie en temps de crise sanitaire
Il faut avoir en tête un point relatif au principe d’égale dignité des personnes qui est comme nous l’avons rappelé le principe premier : cela veut dire qu’il n’existe jamais aucun critère « juste » de sélection des personnes en situation de pénurie.
Communiquer sur le fait que l’on peut trouver des critères justes ou que le triage est une pratique juste en situation de pénurie relève d’une « propagande pseudo-éthique ».
- Dilemmes et paradoxes éthiques de la gestion de pénurie
Il faut distinguer plusieurs niveaux de discours:
- le principe premier de l’éthique : l’égale dignité des personnes
- les faits : la situation de pénurie.
Ces deux niveaux doivent bien être dissociés. Ce n’est pas parce que la pénurie est un fait et implique nécessairement des choix que cela les rends juste et conforment à l’éthique.
Mais dans ce cas là, quel est la nature des critères de choix qui sont appliqués pour gérer la pénurie des ressources médicales et les rendre moins arbitraires ?
Ces choix découlent par exemple de la tentative d’adopter des principes de choix qui soient le moins possibles en contradiction avec les conceptions éthiques majoritaires dans la société.
Ces choix peuvent également découler du principe d’éviter des critères qui relèveraient des critères de discriminations interdits par la loi : âge, handicap…
Néanmoins que ces critères visent à éviter la discrimination systématique, de certaines catégories de population par exemple, ne signifie par qu’ils soient justes.
Ils relèvent d’une troisième catégorie qui n’est ni le hasard (quoi que certains peuvent trouver le hasard moins injuste que tout autres critères), mais qui ne relèvent pas non plus de la conformité éthique avec le principe de dignité de la personne humaine.
On est plutôt dans des degrés d’injustice. On essaie d’établir des critères qui peuvent apparaître comme moins injustes que d’autres. Mais en aucun cas, ces critères ne peuvent être considérés comme justes en soi.
- Des dangers de la communication en temps de crise sanitaire
Le discours des pouvoirs publics en temps de crise sanitaire ne doit pas conduire à affaiblir auprès de la population le principe d’égale dignité et considération du à tous les êtres humains quelque soit leur situation.
Que la pénurie soit un fait inéluctable et nécessaire à un moment donné et qu’il faille la gérée, c’est un drame moral.
Le discours des pouvoirs publics ne devrait jamais présenter les critères de choix comme étant « justes », mais comme essayant seulement d’être les « moins injustes possibles » sans nier qu’en réalité ils sont toujours contestables et injustes au regard du principe d’égal dignité des personnes humaines.