La pédagogie critique n'est pas une boite à outil. Pour s'en rendre compte c'est très simple il suffit de relire Paulo Freire qui explique très bien pourquoi il ne s'agit pas d'une "boite à outil" (Foucault)
Foucault : l’image de la « boite à outil ».
L’image de la boîte à outil a trouvé un certain succès avec des déclarations de Michel Foucault qui affirme :
« Comme tous ceux qui écrivent, je suis un malade du langage. Ma maladie personnelle, c'est que je ne sais pas me servir du langage pour communiquer. De plus, je n'ai ni le talent ni le génie nécessaires pour fabriquer des oeuvres d'art avec ce que j'écris. Alors je fabrique - j'allais dire des machines, mais ce serait trop à la Deleuze - des instruments, des ustensiles, des armes. Je voudrais que mes livres soient une sorte de tool-box dans lequel les autres puissent aller fouiller pour y trouver un outil avec lequel ils pourraient faire ce que bon leur semble, dans leur domaine ».
Cette imagerie technique foucaldienne apparaît également dans le souci de soi où Foucault préfère parler de « technique de soi » plutôt que « d’exercices spirituels » (Hadot).
On peut néanmoins s’interroger sur le fait que ces notions ont pu conduire à favoriser une récupération néolibérale des concepts de la critique. C’est le cas par exemple chez François Ewald, ancien assistant de Foucault, devenu conseillé du MEDEF.
On trouve dans le développement personnel managériale cette recherche de techniques de soi efficaces qui sont l’une des motivations des lecteurs/trices d’ouvrages de ce type de littérature.
Mais l’on aurait tort de penser que c’est là la position de Paulo Freire.
Paulo Freire : L’agir éthique contre l’agir technique
Il suffit pour se rendre compte de la différence de Paulo Freire relativement à Michel Foucault, de citer directement Paulo Freire :
« A chaque fois que l’on me questionne au sujet des méthodes, on dirait que ma préoccupation centrale durant 35 ans a été de créer une méthode qui rende possible un processus d’alphabétisation rapide et facile. De la question, on peut déduire que l’on me voit comme un spécialiste en techniques et méthodes qui facilitent l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour des analphabètes. Si c’était le cas, je suis certain que serais très heureux parce que cela impliquerait une contribution spécifique – une contribution importante – à l’alphabétisation de millions d’analphabètes dans le monde entier. Mais la véritable question n’est pas là. (...)
La véritable question ne sont pas les techniques en elles-mêmes – même si je ne veux pas dire qu’elle ne sont pas importantes en elles-mêmes -, mais il s’agit de comprendre la substantivité du processus qui, à son tour, requière de multiples techniques pour parvenir à un objectif particulier. Ce qu’il faut entendre, c’est précisément que le processus qui rend les techniques nécessaires. (…)
Un des dangers de cette époque historique (…) c’est précisément le danger de cette compréhension étroite de l’éthique qui caractérise le néolibéralisme. Pour le néolibéralisme, l’éthique se réduit à l’éthique du marché. (…)
Ainsi, un des réquisits du contexte historique actuel est que la formation éthique des enseignants accompagne la formation professionnelle, scientifique et technologique des futurs enseignant-e-s en alphabétisation. Les réquisits éthiques sont chaque fois plus cruciaux dans un monde qui devient de moins en moins éthique. Cependant, nous ne pourrons pas résoudre le problème de la formation des enseignants avec de simples propositions technicistes, ce que tout le monde me demande. Je présume que certaines personnes, certains qui me questionnent, attendent que je leur donne des réponses simples pour aborder des problèmes qui sont produits dans un contexte qui suppose un engagement éthique et non pas des réponses techniques. » (Paulo Freire « Eduquer l’éducateur »)
Chez Paulo Freire, la réponse technique renvoie à la demande de réponse techniques, efficaces, du marché néolibéral. Or la pédagogie critique doit constituer une critique de la conception néolibérale, de ce fait elle doit résister à l’injonction de fournir des réponses techniques là où il s’agit de mettre en œuvre un agir éthique.
Conclusion:
Le désir de transformer la pédagogie critique en boite à outil, en négligeant la dimension éthique, résulte de la domination dans le capitalisme néolibéral d'un instrumentalisme qui tend à transformer toute réalité en un objet utile pour nous. Ainsi, toute réalité n'aurait de valeur que dans la mesure où elle nous est utile, ou elle peut nous servir, et cela y compris les êtres humains, qui n'ont plus de valeur à partir du moment où on estime qu'ils ne servent plus nos intérêts et qu'on ne peut pas les utiliser pour nos propres buts.