Fiction critique : La colonisation de l’existence par l’agir technique. 



 

0.0. On avait cru que les problèmes du techno-capitalisme tenaient dans l’exploitation économique de l’être humain et des ressources naturelles.

 

0.1. On avait également mis en avant le gaspillage et la pollution, la société de consommation de masse.

 

1.0. Mais le problème était plus profond encore.

 

1.1. Le techno-capitalisme induisait une autre relation à soi, aux autres et au monde.

 

1.2. Seul devenait désormais légitime la relation utilitariste, ou mieux encore la recherche d’efficience.

 

2.0. Ceux et celles qui accordaient de l’importance à la cohérence entre la pensée et l’action étaient raillés.

 

2.1. Il fallait bien être naïfs pour se soucier de cohérence. L’important était l’apparence vertu du discours. Peu importe que les actes ne suivent pas.

 

2.1.1. Il suffisait au besoin changer le sens des mots. Affirmer que le bien était la recherche de son intérêt personnel.

 

2.2. La relation de soi à soi devait être soumise à des techniques efficaces. C’était là l’objet du développement personnel managérial.

 

2.3. Vendre des techniques de soi efficaces pour devenir plus performants dans la compétition à la réussite sociale.

 

3.0. Vouloir respecter la dignité des personnes humaines ne devait être plus considéré que comme une vieille idée religieuse.

 

3.1. La seule attitude rationnelle était la recherche d’efficacité. Tout le reste n’était qu’une illusion morale.

 

3.2. De tels principes moraux ne devaient être analysés que comme une expression de la rigidité morale pathologique de certains individus que l’on devait bien pouvoir soigner avec quelques psychotropes.

 

3.3. Au besoin, il ne fallait pas hésiter à manipuler pour parvenir à ses fins.

 

3.3.1. Se faire découvrir en flagrant délit de mensonge n’était que la marque d’une erreur, d’un manque d’efficacité.

 

3.3.2. Heureusement, en cette ère d’hyper-information, l’opinion publique oubliait vite ce genre d’erreur et l’on pouvait continuer.

 

3.4. « De toute façon, si je ne le fait pas, d’autres le feront » se disait-on. Et ainsi acceptait-on de participer à la logique utilitariste, d’en devenir même un serviteur zélé.

 

3.5. Ceux ou celles qui dénonçaient les règles du jeu, étaient traités comme des mauvais joueurs.

 

3.6. Après tout, tout le monde savait bien comme fonctionnait le jeu social. Quel manque de savoir vivre de dire tout haut, ce que tout le monde fait.

 

4.0. Comme l’action devait être la plus efficace possible, il fallait pour cela produire des techniques, des outils.

 

4.1. Pour induire l’action utilitariste des individus, on construisait des dispositifs techniques numériques qui orientaient leurs actions sans même qu’ils en aient conscience, sans contrainte apparente.

 

4.2. Faire preuve de violence physique aurait été considéré comme irrationnel et inefficace.

 

5.0. Ce n’était pas que les personnes humaines qu’il fallait considérer uniquement comme des moyens à utiliser pour sa propre réussite sociale personnelle.

 

5.1. Les animaux, et de manière générale l’ensemble de la nature, n’étaient que des ressources à utiliser et à exploiter.

 

6.0. De sorte que chacun et chacune était colonisé par cette forme d’agir.

 

6.1. La plupart l’acceptait, la souhaitait sans même y trouver à redire.

 

6.2. « Pourquoi ne souhaiterions-nous pas être les plus efficaces possibles ?» « Pourquoi ne souhaiterions pas être les plus performants possibles ? ».

 

6.3. C’est pourquoi l’avenir de l’humanité ne pouvait être que l’humain augmenté. Le dépassement de l’humain dans une forme plus performante.

 

7.0. Ceux et celles qui essayaient de vivre selon d’autres logiques étaient au mieux moqués,

voire traités de fous ou folles.

 

7.1. De toute façon, on n’avait guère de choix, il fallait se soumettre à la logique de l’utilité,

de la recherche d’efficience.

 

7.2. Ne pas s’y soumettre n’était pas seulement désavantageux, c’était devenu quasiment impossible.

 

7.3. Les dispositifs techniques orientaient l’action dans le sens induit par le fonctionnement techno-capitaliste.