Compte rendu : Première séance « Brave Space »

 

 

Séance en ligne du 03/04/21

 

NB : Le compte-rendu a été fait par l’IRESMO et n’engage pas les participant-e-s. Il ne contient aucune informations personnelles sur les personnes présentes.

 

Un « brave space » (bell hooks) est un espace d’encouragement. Il repose sur trois principes :

a) la reconnaissance de la souffrance subjective.

b) la recherche d’une cohérence intellectuelle élargie par le dialogue critique

c) le développement du courage moral nécessaire à la cohérence pratique.

 

Le brave space est un espace qui permet de développer une éducation de soi à la cohérence et au courage moral. Mais, c’est également un espace où l’on peut interroger ces principes. Il s’agit d’une approche qui s’inscrit dans le cadre d’une recherche de perfectionnisme éthique personnel.

 

1) La subjectivité peut éprouver une souffrance sociale qu’elle attribue à des organisations : Etat, organisation de travail, organisation militante.

 

Ces organisations reproduisent des rapports sociaux de pouvoir discriminatoires, classistes… Mais il peut aussi s’agir de formes de réification. Elles ont pour caractéristiques de donner l’impression à la personne de ne pas être en cohérence avec ses valeurs. Se pose alors des difficultés pour transformer la réalité sociale.

 

2) La difficulté de l’isolement peut être un obstacle à faire entendre une voix différente. Cette difficulté peut se poser sous plusieurs formes :

 

- Le fait d’être isolé-e dans son organisation. Se pose alors la question de savoir si on peut trouver un soutien en dehors de son organisation pour avoir le courage de briser la culture du silence.

 

- L’isolement lié à une cohérence en relation avec ses positions radicales. Se pose alors la question des compromis que la personne trouve acceptable de faire pour pouvoir agir avec d’autres personnes.

 

Il ne s’agit pas de s’allier contre ses principes, ni de suivre toujours aveuglément la ligne d’une organisation, mais ponctuellement de réfléchir aux compromis acceptables relativement à l’idéal de cohérence éthique.

 

- L’isolement lié au fait d’avoir fait entendre une voix différente : le fait de passer pour une personne à part, le fait de ne pas être écouté quand on parle... Dans ce cas, se pose la possibilité de considérer cette voix différente que l’on fait entendre comme une expérimentation pour voir si d’autres voix oseront elles aussi briser la culture du silence.

 

3) La difficulté des limites de la cohérence : Peut-on être absolument cohérent ou cohérente ?

 

Il est difficile de prétendre être toujours cohérent dans ses actes dans un système social qui est lui-même incohérent (ex : capitalisme). La difficulté porte davantage sur les limites que chacun et chacune considère comme se trouvant au-delà de ce qu’il ou elle peut accepter sur le plan éthique. C’est la question de la voix de la conscience chez Rousseau par exemple.

 

Une autre difficulté peut provenir du fait que la subjectivité est elle même face à un doute concernant ses propres limites. Cela suppose sans doutes de prolonger la réflexion afin de déterminer où se trouvent ses limites personnelles par exemple en discutant avec des personnes qui ont des avis différents.

 

4) La difficulté de l’objectivation. Si la subjectivité est confrontée à une souffrance et qu’elle réussi à trouver d’autres subjectivités qui éprouvent cette même souffrance sociale, comment peuvent-elles convaincre les autres de cette situation ?

 

Il est possible d’avoir recours à des pratiques d’objectivation comme celles qui mettent en évidence une division inégalitaire du travail.

 

Voir Grille d’observation de la division du travail dans différents espaces - https://iresmo.jimdofree.com/2018/08/26/grille-d-observation-de-la-division-sociale-du-travail-dans-diff%C3%A9rents-espaces/

 

5) La difficulté du reframing : L’objectivation peut être une aide pour parvenir à un reframing (modification du cadre d’interprétation) de la réalité. Il s’agit de rendre la réalité inacceptable.

 

Serge Moscovici dans son travail sur les minorités actives a montré que des minorités peuvent modifier les manières de voir du groupe majoritaire.

 

6) Les revendication de cohérence éthique

 

On assiste dans certains milieux comme celui de l’art à l’émergence de collectifs de jeunes artistes qui critiquent le manque de cohérence des institutions artistiques tant sur le plan des rapports sociaux de travail que des discriminations.

 

Ces personnes sont confrontées à des « conflits de valeur » (Gollac), à une « détresse morale » (Jameton)

 

7) La difficulté de l’action collective de transformation sociale.

 

La perspective qui est celle de la cohérence éthique se situe au niveau de l’éducation de soi et pas directement de la transformation sociale par l’action collective.

 

James Scott dans La domination et les arts de la résistance a mis en avant le fait que les personnes résistaient toujours à un pouvoir autoritaire à travers un script caché, une protestation non publique.

 

Néanmoins, Vaclav Havel, dans Le pouvoir des sans pouvoirs, a critiqué l’idée d’une résistance sous la forme d’un script caché. Il a développé au contraire l’idée que ce script caché contribuait à maintenir le système en place. Ce qu’il a appelé la « dissidence » c’est le fait d’oser faire entendre sa voix.

 

8) La colère sociale peut-elle justifier le recours à la violence ?

 

Il ne s’agit pas en soi de condamner la violence des sans voix. Mais dans une perspective qui met en avant la cohérence éthique, il est nécessaire de recherche la cohérence entre les moyens et les fins.

 

La conception de la non-violence de Gandhi s’appuyait sur une recherche de cohérence existentielle. Gandhi n’a pas recherché en priorité l’efficacité de l’action, mais la cohérence. Mais, cette cohérence a elle-même une force qui peut la conduire en définitive paradoxalement à être plus efficace que l’incohérence.

 

9) La difficulté de la cohérence limitée à des paroles.

 

La cohérence pratique commence par le fait de mettre en adéquation la pensée et le discours. La première forme de courage morale est celle qui consiste à faire entendre une voix différente.

 

Cette voix différente est nécessaire : a) pour produire un reframing (recadrage) b) pour inciter d’autres personnes à faire entendre une voix différente.

 

Mais parfois, il peut arriver que l’on se trouve face à des personnes qui ont des discours de critique sociale, mais qui dans la pratique ne les mettent pas en œuvre. Cela est d’autant plus problématique quand ce sont des personnes qui sont socialement puissantes.

 

La cohérence éthique consiste à avoir le courage de confronter ces personnes, de mettre en lumière le manque de cohérence entre les discours vertueux et les pratiques, qui elles ne le sont pas, pour obliger ces personnes à la cohérence.

 

Prolongement:

Une participante a suggéré cette conférence de Sara Ahmed: "On complaint" -

https://www.youtube.com/watch?v=4j_BwPJoPTE