Extrait d’Utopie et pouvoir
(Discours prononcé le 12/05/84 dans la PUCSP à l’occasion d’un cours « d’extension culturelle » « Eglise et pouvoir »).
Les gens prétendent faire dans ce pays un discours nouveau, différent. Ce discours, d’un côté, implique nécessairement la réinvention de la société, mais, de l’autre, il n’est pas possible d’espérer que la société totale se refasse pour le discours soit refait dans sa totalité.
C’est ici qu’intervient l’importance de l’Utopie. La posture implique un « être hors du monde ». Mais cela ne signifie pas nécessairement que l’utopie soit réalisable. Au contraire, l’utopie est l’unité dialectique entre la dénonciation de ce qui est en train d’arriver et l’annonce de ce qui doit être. Tout posture utopique implique une imagination nécessaire, que les révolutions ont besoin d’avoir, et que lorsqu’elles ne les ont pas, elles cessent d’être des révolutions. Le fait d’imaginer le possible, vous anticiper le demain dans le rêve ou la tentative de visibiliser ce rêve du lendemain.
Certains révolutionnaires ont été fantastiquement utopistes. Voyez Guevara, par exemple, comme un profond amoureux des masses populaires, des hommes et des femmes, amoureux de la transformation radicale. Il était un homme qui vivait en rêvant constamment avec la viabilité de son propre rêve. Il rêvait, non pas parce que c’était un rêveur, mais parce que c’était un révolutionnaire. Je veux dire qu’il cherchait à réaliser son rêve. Cela, pour moi, c’est l’utopie.
Ce n’est pas facile, évidement, d’être utopiste dans le sens révolutionnaire. Tout le monde ne peut pas être Guevara, Amilcar Cabral ou Fidel Castro. Répéter les autoritaires, c’est facile : ce qui est difficile, c’est d’incarner ce rêve utopique d’amour que certains hommes et quelques femmes ont incarnés. Cette expérience existentielle de dénonciation et d’annoncer demande aux personnes une grande cohérence entre l’expression verbale de leurs propres rêves et les moindres pratiques auxquels les gens participent pour réaliser le rêve, dans les relations entre homme et femme, entre professeur et élève….
S’il n’y a pas de pratiques démocratiques, je déprécie mon discours révolutionnaire, en devenant une révolutionnaire autoritaire : un contresens. Mon utopie me conduit à n’accepter aucune contradiction entre révolution et pratique radicale, et démocratie au sein de ma propre révolution. Une révolution, une transformation utopique radicale de la société, se fait avec les messes et non jamais sur elles ou à travers elles.