Triomphe actuel de l’individualité libérale et règne de la marchandise
Dans notre société, règne la plus grande confusion entre l’affirmation libertaire de soi et l’individualisme libéral. Il est possible de dégager de nombreux aspects qui illustrent cela.
- L’universalisation du contractualisme marchand
Un des aspects de cette confusion est illustré par le mariage pour tous. Cette revendication traduit le conformisme utilitariste du dernier homme qui se cache derrière le caractère pseudo libertaire de l’individu libéral.
Les socialistes libertaires comme Déjacque ont critiqué le mariage. En effet, le contrat de mariage constitue pour eux l’établissement d’un rapport de propriété exclusif entre deux individus. Ce rapport de propriété permet de justifier l’exploitation du travail domestique des femmes. Le contrat de mariage est un contrat économique qui sert à assurer la constitution et la transmission d'un patrimoine. Par exemple, la revendication du mariage entre les personnes de même sexe permet d’établir des avantages fiscaux, de transmettre un héritage entre les membres du couple...
Le mariage pour tous s’est affirmé comme le triomphe d’une revendication de l’individualisme libéral. Il s’agissait de faire accéder les homosexuels aux mêmes privilèges économiques que les couples hétérosexuels, et non d’abolir une pratique juridique discriminatoire par rapport aux célibataires.
Ainsi, la revendication de la liberté libérale, loin d’abolir le conformisme des moeurs et de favoriser la libre affirmation de chacun, ne fait qu’étendre l’utilitarisme libéral aux marges par l’universalisation de la catégorie du contrat marchand.
- La liberté du “faire ce qu’il me plaît”, une autre extension du domaine de la marchandise
Dans un certain nombre de débats de société, la liberté est définie à partir du droit de “faire ce qu’il me plaît” dont l’un des aspects est la libre disposition du corps. Cette libre disposition de son corps renvoie en définitive à la propriété de soi comme droit naturel affirmé par le philosophe libéral John Locke.
“Faire ce qui me plaît” devient le critère ultime dans les débats sur la prostitution, sur l’euthanasie, sur les drogues...
Avec, en outre, le “droit à un enfant”, c’est l’enfant qui devient également un produit que l’on pourrait acquérir comme un bien de consommation. Avec la GPA, on loue le ventre d’une femme. Avec la PMA, on peux choisir le donneur sur catalogue (de préférence un donneur blanc et de classe moyenne supérieure).
De son côté, le dépistage pré-natal peut prendre les formes d’un eugénisme libéral s’appuyant sur les conceptions les plus normatives. Puisqu’il devient possible de choisir son enfant comme un produit de supermarché, pourquoi s’encombrer alors d’un enfant “anormal”, d’un handicapé. Dans le cas de l’euthanasie, pourquoi s’encombrer de personnes coûteuses pour la société alors que l’on pourrait utiliser cet argent à augmenter le bien-être collectif. Quel est la valeur de la volonté d'un individu à qui l'on fait sentir qu'il est un poid économique et psychologique pour ses proches ?
La liberté libérale n’est pas en réalité une liberté libertaire, mais la liberté du consommateur, qui peut choisir comme dans un supermarché, qui peut calculer le meilleur rapport coût-avantage, qui peut louer, vendre ou acheter.
Ce qui se trouve invisibilisé par ce discours de l’individu souverain, ce sont les rapports d’inégalité sociale: quels rapports sociaux se jouent dans l’économie de la prostitution, de la drogue, de la GPA et de la PMA ? Tout cela disparaît derrière l’affirmation naïvedu plaisir individuel. L’individu est pensé comme un atome, indépendant de tout contexte social. Sa dimension d’être social disparaît.
Cette centration de l’existence sur le plaisir individuel trouve son expression la plus achevée aujourd’hui dans la gamification de l’existence. La gamification du travail et du loisir devient la forme de l’illusion capitaliste à l’ère du numérique. Il s’agit d’orienter l’action de l’homo economicus en stimulant le circuit neuronal de la récompense.
A l’inverse de cette conception de l’existence orientée vers le plaisir, se trouve une éthique qui fait de la réalisation de soi un effort qui s’appuie sur le travail d’un individu qui s’inscrit dans un réseau de solidarités sociales.
- L’oubli de la solidarité comme condition de l’individualité
Ce qui est oblitéré à l’inverse dans le monde du capitalisme libéral, c’est la manière dont les relations de solidarité sont productrices d’autonomie individuelle (idée qui avait été affirmée en particulier par l’anarcho-syndicalisme: l’action directe syndicaliste est l’affirmation de soi dans le cadre d’un groupe d’individus liés par des relations de solidarité).
“Faire ce qui me plaît, sans nuire à autrui” est un adage à la fois insuffisant et inadéquat pour penser l’existence sociale.
L’affirmation de l’individualité n’est possible que dans la relation avec les autres et dans des conditions d’égalité sociale. Le mariage pour tous, la GPA, la PMA, la réglementation de la prostitution ne sont que l’expression de solutions issues de l’individualisme marchand aux questions qui ont traits à la reconnaissance sociale de la pluralité des sexualités, des couples et des filiations .
Ainsi, si l’on prend les questions relatives à l’avortement ou à l’euthanasie, certains défendent le droit à l’avortement ou à l’euthanasie sur la base de la libre disposition de soi, ouvrant ainsi la voie à la justification de la vente d’organe, de la marchandisation des relations sexuelles ou à la GPA.
Néanmoins d’autres justifications de l’avortement ou de l’euthanasie pourraient être possible : non seulement en s'appuyant sur ledésir de la femme ou du malade, mais également sur une obligation qui est faite à la société d’une compassion (empathie) face à la souffrance d’autrui. Il s’agit alors d’un principe différent de la conception propriétaire de soi. L’être humain n’est pas défini avant tout comme un individu propriétaire, mais comme un être social, capable de ce fait d’empathie.
Ce qui différencie les sociétés humaines de la loi de la concurrence interindividuelle, qui est la loi du marché, c’est que la société crée les conditions de possibilité d’une vie digne même pour les personnes les plus fragiles et qu’elle ne les éliminent pas dans une compétition aveugle.
L’écologie contre l’individualisme libéral
Il est parfois surprenant de constater que c’est parmi des personnes se réclamant des Verts, et donc des idées écologistes, que l’on peut assister à la défense la plus véhémente de l’individualisme libéral marchand.
En effet, la pensée de l’écologie s’oppose à l’atomisme libéral. Le milieu naturel est pensé sous la forme d’un écosystème où tout est en interrelation. La survie de l’espèce humaine est liée à ses relations avec son environnement naturel. Les sociétés constituent elles-mêmes des milieux avec leur propre fonctionnement. Les individus s’inscrivent dans les relations constituées par le milieu social. Mais si le fonctionnement du milieu social est autonome, il n’est pas indépendant du milieu naturel.
La pensée individualiste libérale, centrée sur le plaisir individuel et sa maximisation, considère l’individu, non seulement indépendamment de son milieu social, mais également de son milieu naturel. L’existence de l’individu libéral est indépendante du milieu naturel, qui n’existe qu’en tant que ressource qui peut être exploitée et utilisée à son profit dans l’objectif de la maximisation d’un plaisir individuel immédiat.
Conclusion:
Il y a une véritable opposition de fond entre l’individualisme libéral et l’individualisme libertaire. La conception libérale prend pour point de départ le plaisir subjectif de l’individu et vise son optimisation. L’individualisme libertaire réintègre l’individu dans son milieu social et naturel. La réalisation de soi est alors un processus qui trouve sa condition de possibilité dans le système social et naturel qui préexiste à l’individualité. L’individualisme libertaire suppose une capacité de l’individu à ne pas réduire la réflexion à lui-même, mais à se comprendre en tant qu'un individu dans un ensemble plus vaste.
Irène Pereira
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seiwqkatu (mardi, 25 novembre 2014 03:15)
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